Jeff Henckels a pulvérisé son record national vieux de 20 ans pour terminer en tête à l’issue de la première journée du tournoi mondial de qualification olympique à Paris.
Ce gars-là est décidément incroyable. Après des années de doute et un printemps 2020 où il s’est explosé le coude lors d’une chute à vélo qui l’a contraint à ne plus pouvoir toucher un arc avant de longs mois et une rééducation compliquée, Jeff Henckels est toujours là.
Lui qui avait dû repartir de zéro, en utilisant des arcs débutants pour éviter d’appliquer une trop grosse pression, a été obligé de s’adapter. Et s’il a pu reprendre les compétitions, c’est désormais avec un arc beaucoup moins tendu : «Six livres de moins, soit environ trois kilos.» Un moyen de ne pas trop solliciter le coude. Mais un engin moins puissant qu’auparavant.
Force est de constater que ce nouveau départ est on ne peut plus prometteur. Après une première épreuve de réglage en Croatie, le meilleur archer de l’histoire du Luxembourg a épaté tout son monde en se hissant sur la troisième marche du Grand Prix d’Antalya. Et quelques semaines plus tard, au même endroit, il avait échoué d’un rien à se qualifier pour les JO à l’occasion du tournoi européen de qualification olympique. Après Athènes et Londres, Jeff Henckels avait-il laissé échapper un troisième billet pour les Jeux ? «Je crains bien que c’était LA chance», expliquait-il à l’issue du tournoi turc, où il lui avait manqué un ou deux points pour prendre la dernière place.
Mais l’homme est un compétiteur. Et il savait qu’il lui restait encore au moins une opportunité à saisir. Le lieu ? Le Stade Charléty à Paris. Le jour ? Du samedi 19 au lundi 21. Les places ? Au moins quatre mais peut-être même jusqu’à neuf. Les adversaires ? Le monde entier ! Avant la Coupe du monde au même endroit à partir de demain, les archers en quête d’un ticket pour Tokyo se retrouvaient donc samedi, juste avant la compétition par équipes. Et parmi eux un Jeff Henckels totalement détendu : «Je n’ai plus le temps de m’entraîner comme avant. Après une année de pause, j’ai dû repartir de zéro. De toute façon, je n’ai pas de pression. Si je tire mal, je peux toujours l’expliquer parce que j’ai complètement arrêté le tir à l’arc et que j’avais un coude cassé. Je prends ce qui vient.» Et cette philosophie du carpe diem a encore fonctionné à plein.
680, c’est quelque chose que j’ai toujours voulu avoir
Pourtant, les sensations, la veille à l’entraînement, n’étaient pas exceptionnelles : «Autant à la maison, je faisais des 670-680 mais à Paris, je ne me sentais pas très bien. Ça ne rentrait pas. Je me suis dit : « Non, pas cette semaine ! Pas maintenant ! » Du coup, j’avais quelques doutes.» Des doutes qui se lèveront au fil des volées : «Je commence bien. La première est OK, la deuxième, la troisième. Là, je me dis : « OK on essaie de garder cela ».» 341 à l’issue de la première série de 6×6 flèches. Record personnel égalé : «Je l’avais déjà fait une fois, à Berlin, je crois.»
Henckels repart à l’attaque. Mais sa première volée se passe beaucoup moins bien : «Je commence avec six 9. Je me suis dit que c’était peut-être le début de la fin. Juste après, je fais 60. Et ensuite, j’ai juste continué comme avant.» Le score enfle. Enfle. Tant et si bien qu’il se rapproche de son record. 671. Une marque qui date d’il y a 20 ans. C’est clair, Jeff Henckels continue de surfer sur son incroyable forme qui le porte depuis quelques mois. «Lors des deux dernières volées, j’étais un peu nerveux. J’ai compris que je pouvais faire les 680.» Les 680, une marque qui veut dire quelque chose dans le monde du tir à l’arc : «Il y a deux personnes au monde à avoir fait 700. Peut-être une dizaine 690. Mais 680, ce n’est pas quelque chose qui se fait tous les jours. Je savais que j’en étais capable. Que mon record ne correspondait pas à mon niveau. J’avais réussi plusieurs fois à égaler ce record mais jamais à faire mieux. 680, c’est quelque chose que j’ai toujours voulu avoir.»
Et ce lundi, ce sera la bonne ! Deux dernières volées correctes, qui lui permettent de boucler sa phase retour sur le même score de 341. 341+341 = 682. Le compte est bon! Preuve de la qualité de sa performance, ce score lui permet de terminer en tête sur les 94 concurrents sur la ligne de départ. Une position préférentielle qui lui permet d’être exempté des deux premiers tours, dimanche et ce lundi. Il poursuivra donc sa quête olympique aujourd’hui, à partir des seizièmes de finale. Pour être sûr d’aller au Japon, il devra atteindre les quarts. Mais vu qu’il n’y a qu’un quota par nation, si plusieurs archers d’un même pays se retrouvent au même stade, cela permet de descendre dans le classement pour aller trouver le bénéficiaire d’une place.
Et quand bien même ça ne se passerait pas bien. Il resterait une ultime possibilité pour Jeff Henckels : «Apparemment, il y a trois pays africains qui ont pris des places lors des qualifications continentales mais sans réaliser le score minimum requis. Ils ont jusqu’au 28 juin pour l’atteindre sinon les places reviendront aux archers les mieux classés au ranking mondial. Et pour l’instant, je suis troisième de cette liste», résume l’inoxydable archer grand-ducal, 30e mondial à 36 ans.
Mais connaissant le compétiteur qu’il est, nul doute qu’il préférera tout faire pour ne devoir qu’à lui le droit de connaître une troisième fois le Graal de tout sportif.
Jeff Henckels n’est pas seul à Paris. Son compatriote, Pit Klein, était également présent. En qualifications, il a signé un 642, synonyme de 43e place. Malheureusement, ses dernières chances d’aller à Tokyo se sont envolées dès le premier tour, avec une défaite 2-6 face au Letton Davis Blaze qui s’était quant à lui classé 70e des qualifs.
Romain Haas