À la tête du Centre hospitalier Émile-Mayrisch depuis le 1er février, le docteur René Metz évoque sa méthode et la crise sanitaire.
Entre la crise sanitaire et plusieurs turbulences au sein de sa direction, le Centre hospitalier Émile-Mayrisch (CHEM) a vécu une année 2020 chaotique. Nommé directeur général en novembre 2020 et ayant pris ses fonctions le 1er février, le docteur René Metz parle de sa philosophie, de son équipe, de son action, de la crise sanitaire et de l’avenir de «l’institution».
Vous avez été nommé directeur général du CHEM le 1er février dernier et à ce moment-là, vous avez dit : « J’aurais préféré commencer dans un environnement plus serein… » Vous disiez cela à cause de la pandémie?
René Metz : Oui, je faisais principalement allusion à la crise sanitaire du Covid-19. La pandémie a totalement bouleversé le monde hospitalier. Les hôpitaux souffrent depuis maintenant plus d’un an. Un hôpital dans une situation normale, ce n’est déjà pas facile à gérer, alors en pleine crise sanitaire, c’est un vrai challenge. J’en étais conscient.
Pourquoi avez-vous accepté cette responsabilité dans cette situation?
Dans ma carrière de médecin-neurologue, je me suis intéressé assez tôt au fonctionnement de l’hôpital au niveau national, mais également au niveau de la Grande Région, en regardant ce qui se fait chez nos voisins, en Belgique où j’ai fait ma formation, en France, en Allemagne ou encore en Suisse. Lorsqu’on m’a proposé ce poste, j’ai pris le temps de réfléchir et ai très vite réalisé quelles seraient les opportunités et les possibilités d’influencer favorablement le système luxembourgeois et d’aider le CHEM à avoir une nouvelle dynamique. Je me suis alors dit que cela pourrait être passionnant et j’ai accepté.
Le CHEM doit « avoir une nouvelle dynamique »?
Ce n’est pas un secret. L’année dernière, il y a eu des difficultés au niveau de la gouvernance du CHEM. Le directeur médical (NDLR : Claude Birgen) a démissionné au début de l’année passée. Le directeur général (NDLR : Hansjörg Reimer) s’est retrouvé un peu isolé. Dans ce contexte, cela devient difficile de diriger et d’organiser. Le conseil d’administration a décidé de se séparer du directeur général et la décision a été prise de recruter un nouveau directeur général et une nouvelle équipe au niveau de la direction médicale.
Il n’y avait plus personne à la direction du CHEM?
Il était essentiel de reconsolider et de restructurer la direction. L’objectif était d’avoir assez rapidement un conseil de direction, un groupe capable de ramener un peu de calme. À partir de novembre 2020, quand j’ai signé mon contrat, j’ai essayé de préparer mon arrivée en février. La priorité était d’avoir une direction médicale. Un directeur général ne peut pas remplacer une direction médicale. C’est un travail spécifique, un travail extrêmement exigeant. Nous avons réussi à avoir la nomination de deux directeurs médicaux (NDLR : Dr Romain Schockmel et Dr Serge Meyer) au moment où j’ai pris mes fonctions. Une première étape importante pour ramener le calme.
Au-delà de votre nomination, c’est une nouvelle équipe de direction qui est arrivée au CHEM?
C’était le cœur de ma démarche. Je ne suis pas là pour faire un one-man-show. C’est impossible de tout faire tout seul. Il faut construire une équipe. Et il était essentiel d’avoir à la direction médicale quelqu’un de la chirurgie et quelqu’un de la médecine interne. Nous avons organisé un vote auprès de tous les médecins afin de tenir compte de l’avis du corps médical dans la nomination des directeurs médicaux, comme prévu dans la loi hospitalière de 2018. Donc aujourd’hui, nous avons une team qui fonctionne très bien et nous travaillons ensemble pour faire avancer les choses.
Quelle est votre philosophie?
Une vraie culture du dialogue. C’est une mentalité qui doit se diffuser dans toute l’institution. Lorsqu’il y a un problème, on discute, on argumente, on trouve un consensus et une fois que la décision est prise, on l’accepte. C’est cette culture que je souhaite amener à tous les niveaux.
Le 12 mai dernier, date de la journée internationale de l’Infirmière, vous avez annoncé la création d’un conseil infirmier. Quel est son rôle?
C’est un peu le pendant du conseil médical. Le conseil infirmier, démocratiquement élu au sein de l’institution, représente les infirmiers et infirmières ainsi que les autres professions non représentées au conseil médical. Il permet aux autres professionnels de l’hôpital de donner des avis consultatifs sur des sujets qui tournent autour de leur vie professionnelle. Par exemple, cela m’intéresserait d’avoir leur avis sur la formation des infirmiers ou encore sur une réorganisation interne plus importante. Comme je l’ai déjà dit, je souhaite une culture du dialogue, cela signifie à la fois donner la parole et apprendre à se parler de façon responsable.
Nous sommes sur le chemin d’un retour à la normalité, mais nous nous méfions toujours
Au niveau médical, avez-vous déjà lancé certains projets?
Nous travaillons sur un projet d’hémodialyse à domicile et nous sommes très optimistes quant à notre avancée dans ce domaine pour promouvoir le virage ambulatoire. Le service de neurologie, de son côté, intégrera l’unité aiguë de l’AVC (Stroke Unit) au sein de son service. Nous sommes également en train de développer les filières psychiatriques et nous poursuivons la discussion autour des sites de Niederkorn, Dudelange et Esch-sur-Alzette. Nous avons beaucoup d’idées, les équipes rencontrées au CHEM veulent avancer.
Quelle est votre analyse de la situation actuelle par rapport à la crise sanitaire?
Nous sommes sur le chemin d’un retour à la normalité. Mais le gros problème avec la pandémie est que nous avons régulièrement eu des surprises. Nous nous méfions et nous préférons rester prudents. Tout le monde attend des hôpitaux qu’ils soient toujours prêts, peu importe ce qui se passe. Nous avons su faire face à ce défi et avons pris l’habitude de toujours avoir un plan B voire un plan C pour affronter les surprises.
Vous vous préparez à des surprises?
On ne peut pas tout préparer, mais nous essayons d’anticiper le plus possible. L’année dernière par exemple, notre cafétéria avait été transformée en hôpital de jour. Depuis le 16 juin dernier, c’est à nouveau une cafétéria. Nous avons pris cette décision en réfléchissant à des solutions alternatives en cas de nouvelle vague pour ne pas être obligés de faire marche arrière et de retransformer la cafétéria en hôpital de jour. Autour de nous, tout le monde pense être revenu à la normale et nous ne pouvons pas nous permettre d’être excessivement prudents. Mais nous devons le rester raisonnablement et avoir des plans B en tête si jamais la situation sanitaire devait à nouveau se dégrader.
Comment va le personnel du CHEM (plus de 2 000 collaborateurs et 280 médecins)?
(Silence) Je pense qu’ils ont beaucoup souffert. Leurs batteries ne sont pas pleinement rechargées. L’idéal serait d’avoir une période de calme qui dure pour que le personnel puisse récupérer et reprendre des forces. Le CHEM a en moyenne accueilli davantage de cas Covid-19 que d’autres structures. Nous avons parfois eu le double de patients Covid-19 par rapport aux autres hôpitaux aigus. Certains jours, il y avait une centaine de patients Covid-19 au CHEM, dont 20-22 patients Covid-19 en soins intensifs. Quand je suis arrivé ici, je me suis rendu compte du travail énorme qui avait été réalisé. Le personnel et les services ont été tout de suite bien organisés et cela a relativement bien fonctionné. Il faut rappeler que nous avons été confrontés à quelque chose que nous n’avions jamais vécu auparavant.
Ces derniers jours, la vie reprend son cours. Il y a du monde dans les rues, sur les terrasses… Est-ce que cela vous inquiète?
Lors de la première vague et pendant celle de l’hiver dernier, le personnel hospitalier n’arrivait parfois pas à comprendre ce qui se passait à l’extérieur. Certaines décisions politiques n’ont pas été comprises. Le dialogue était difficile au début. Mais au fil du temps, les échanges se sont faits. De notre côté, nous avons aussi appris et compris que certaines décisions politiques étaient complexes et difficiles à prendre. Personnellement, je ne suis pas du genre à commenter chaque décision prise par les autorités. J’essaie plutôt de protéger les équipes soignantes, leur travail ne doit pas être dévalorisé. Des phrases comme « mais ils ne font que leur travail » me choquent plus que des gens sur une terrasse. Mon objectif est de garder au CHEM un personnel motivé et de lui permettre de travailler dans de bonnes conditions.
Dans votre mission, vous avez également la charge du projet du Südspidol. Où en est-on?
Ce projet occupe déjà aujourd’hui une grande partie de mon temps de travail. C’est un projet passionnant, superbe… Pendant la pandémie, nous avons appris des choses qui risquent d’influencer le projet. Il est notamment essentiel que les hôpitaux luxembourgeois collaborent encore mieux entre eux. On l’a fait dès le début de la crise et il y a eu une bonne coordination entre les hôpitaux. Ainsi, lorsque nous étions dans des situations critiques au CHEM, nous avons pu transférer des patients à l’hôpital Kirchberg ou au CHL. Nous avions aussi l’accord de transférer à Ettelbruck en cas de grosses difficultés. Cela signifie que lors de la construction d’une nouvelle structure hospitalière, il est essentiel que l’agencement soit aussi bien réfléchi au niveau national. Nous attendons de la part du ministère et des politiques une définition claire des missions spécifiques de chaque structure et un meilleur accompagnement. Il faut qu’on se pose la question de comment cette nouvelle structure sera capable de s’intégrer au niveau national pour encore mieux jouer son rôle, notamment en cas de pandémie? Ces questions rendent le dossier Südspidol encore plus ambitieux.
On a parlé de 2022, ensuite de 2024, puis de 2026… Quand le Südspidol sera-t-il prêt?
Une date, une date… Je me suis promis de ne pas donner de date aussi longtemps que je ne peux pas en assurer une haute probabilité de réalisation. Donc je ne vais pas vous donner de date aujourd’hui. C’est un dossier complexe. Mais j’ai la chance d’avoir pu inclure dans mon équipe un ingénieur qui est désormais responsable du projet du Südspidol. C’est quelqu’un de compétent qui connaît bien le secteur hospitalier. Il a notamment supervisé la construction de la nouvelle maternité du CHL. C’est lui le chef d’orchestre du dossier Südspidol et il m’aide beaucoup. Je rappelle que je suis médecin, neurologue et formé pour le management à l’hôpital mais que je ne suis ni architecte ni ingénieur. Aujourd’hui, la planification est pratiquement terminée. Je suis quelqu’un de pressé, plutôt impatient, donc nous sommes en train de voir comment le projet peut adopter une cadence qui corresponde plus à mes attentes.
Ce serait quoi la cadence idéale?
Plus rapide (il sourit).
Entretien avec Guillaume Chassaing