Avec Cinquième set, Quentin Reynaud conjugue l’intime et le spectaculaire. Sans pour autant éviter les revers…
Traduire le sport au cinéma est toujours un pari difficile à relever. Une problématique, toujours la même : comment rendre cinématographique un évènement habituellement filmé et retransmis en direct en y insufflant un nouveau langage, créé sur mesure pour le grand écran, sans en diminuer l’essence, à savoir la spontanéité de l’émotion ? Souvent, et selon le sport porté à l’écran, le cinéma trouve le moyen de ménager les deux. Si la boxe est le sport cinématographique par excellence, c’est d’abord parce qu’elle a des allures de tragédie shakespearienne, violence physique et effusions de sang à l’appui. La boxe a aussi l’avantage d’offrir une multitude de choix à la caméra de se placer entre ou de tourner autour des deux gladiateurs des temps modernes, pour en renforcer la dimension tragique.
Dans d’autres sports, on n’hésite pas à attaquer le sujet à travers une thématique plus sociale ou historique : en football, citons Escape to Victory (John Huston, 1981), dans lequel des prisonniers de guerre jouaient un «match de la mort» contre leurs geôliers nazis, ou Bend It Like Beckham (Gurinder Chadha, 2002), avec son héroïne d’origine indienne défiant l’autorité de ses parents en s’inscrivant dans un club de foot féminin. Le tennis a l’avantage – ou l’inconvénient – de n’avoir encore que peu de films qui lui sont consacrés, et donc pas de règles prédéfinies pour le mettre en scène. On notera tout de même le récent et joliment décalé Battle of the Sexes (Jonathan Dayton et Valerie Faris, 2017), sur le match entre la championne et militante féministe Billie Jean King et l’ex-numéro 1 mondial, volontiers critique envers le tennis féminin, Bobby Riggs.
Deuxième long métrage de Quentin Reynaud, Cinquième set connaît bien son sujet, le réalisateur et scénariste ayant lui-même pratiqué, dans une autre vie, le tennis à haut niveau. Mais allier ses deux passions peut être une condition qui intimide plus qu’elle n’excite. Ce qu’il lui faut alors, c’est une histoire qui transcende le sport, tout en lui rendant hommage. Il imagine donc celle de Thomas Edison – aucun lien avec l’inventeur du phonographe –, ancien espoir tombé dans l’oubli après une demi-finale perdue à Roland-Garros, à l’âge de 17 ans, et une fracture du genou qui a compromis son avenir sur terre battue. Mais vingt ans plus tard, Edison se sent prêt pour son «come-back» et décide de revenir tenter sa chance à «Roland», pour une dernière danse que l’outsider imagine déjà victorieuse.
Avec Cinquième set, sorti trois jours après la victoire héroïque de Novak Djokovic sur Stefanos Tsitsipas aux Internationaux de France, Quentin Reynaud conjugue l’intime et le spectaculaire, en centrant son histoire sur le talent raté que tous soutiennent tant bien que mal : sa mère, à la fois aimante et critique, et sa femme, qui fait bonne figure pour ne pas briser les rêves de son époux. Le personnage de Thomas Edison est de tous les plans, filmé à toute les échelles et incarné jusqu’au bout de la raquette par un Alex Lutz époustouflant de justesse. S’il est doublé par un joueur professionnel pendant les scènes de matches, dans les gros plans, il se réapproprie à la perfection les tics et mimiques des tennismen les plus expressifs. Dans d’autres séquences, ses traits marqués sont ceux d’un personnage à vif, tragique à souhait, à qui l’acteur donne le meilleur de lui-même pour le rendre entier et vivant. Une performance comme il en existe peu dans le cinéma français.
Malheureusement, le film n’a que trop peu à offrir au-delà de la prouesse exceptionnelle qu’offre l’acteur principal. Le scénario n’introduit aucun enjeu qui entend rendre le sport «bigger than life», et se repose sur une simple histoire de gloire, de chute et de rédemption comme il en existe déjà des milliers. Celle-ci, autant le dire, ne figurera pas parmi les meilleurs, on la trouvera loin dans le classement, à l’image de son malheureux héros. La faute à un rythme qui ne se trouve jamais, à des personnages secondaires pourtant intéressants mais jamais approfondis – et, de fait, quasiment inexistants – et à des ficelles un peu trop grosses (l’ennemi dans le viseur d’Edison est une sortie de copie en négatif de l’ancien champion). Sans mentionner le curieux choix d’aguicher le spectateur d’entrée de jeu en lui donnant un aperçu de la scène finale, pour ne jamais en dévoiler le dénouement.
Reste alors le côté spectaculaire du tennis, pour le coup brillamment mis en scène, et qui marque la première fois dans l’histoire que Roland-Garros accueille un tournage de cinéma. Dans la longue séquence finale, on est pendant vingt minutes avec les joueurs sur la terre battue, dans un climat de tension et avec une qualité artistique que le reste du film n’a que trop de peine à égaler, malgré une bonne intention manifeste.
Valentin Maniglia