Les Rotondes étaient ce dimance le théâtre de la première Geek Foire, organisée par le magasin Le Réservoir. Un succès où «gamers», «otakus» et autres mordus de pop culture japonaise ont enfin pu exprimer leur joie de se retrouver.
Ils sont venus nombreux mais sont entrés au compte-goutte, ce dimanche aux Rotondes, pour assister à la Geek Foire, première du nom. Un évènement imaginé par Christophe Ayroles, bien connu des fans de mangas et de «gaming», qui ne manquent pas une occasion de se rendre au Réservoir, sa boutique de la Galerie Neuberg, pour y dénicher, à l’étage, le dernier tome de leur saga nippone préférée. Avec la Geek Foire, de son propre aveu une entreprise «un peu fourre-tout, pas vraiment définissable», il entend réunir toute la communauté «geek» de Luxembourg et de la Grande Région dans une même journée où fans, «gamers», vendeurs particuliers et artistes peuvent se retrouver et se rencontrer autour de la même passion. Si, au Réservoir, Christophe Ayroles tient la boutique, aux Rotondes, il joue les ouvreuses. Pour surveiller l’entrée, on n’est d’ailleurs jamais trop nombreux : avec une capacité de 150 personnes maximum, selon les règles sanitaires, l’endroit est vite rempli. «Quand j’ai ouvert la porte à 10 h, j’ai halluciné de voir autant de monde», admet-il.
Et les surprises ont rapidement continué : la file d’attente, déjà bien remplie dès l’ouverture, a continué de s’agrandir au fil de la matinée. Moins d’une heure après l’ouverture, elle s’étendait même jusqu’à la rue de Bonnevoie, au niveau du deuxième bâtiment des Rotondes. Effet confinement, effet beau temps, ou sûrement un mélange des deux, tout le monde semble apprécier ce moment d’attente passé sous le soleil. Le «dress code», d’ailleurs, est plutôt décontracté, plus dans le thème du dimanche de printemps que dans celui de l’univers «geek». «Ça nous fait une sortie sympa», déclare Céline, qui accompagne sa fille, Rayana, «gameuse» assumée; alors qu’hier, en France, on fêtait les mères, les deux frontalières ont préféré passer un peu de temps dans la capitale, pour peut-être se défier à Guitar Hero et, qui sait, repartir avec quelques souvenirs?
À l’intérieur, dès l’ouverture, pas un seul exposant qui ne soit pas déjà en pleine conversation avec tel ou tel passionné. Rares sont les visiteurs qui s’y rendent seuls, et pour cause : les maîtres-mots sont «communauté», comme celle(s) dont toutes et tous font partie, et, bien sûr, «convivialité». Côté exposants, on représente Luxembourg et les quatre coins du Grand-Duché; côté visiteurs, en revanche, on entend parler luxembourgeois, français, allemand, anglais… Un mélange de nationalités qui fait plaisir à tout le monde, en particulier à Miguel, exposant belge venu présenter avec ses acolytes le magazine Resins of Otakus, créé en plein confinement. «Ici, peu de gens nous connaissent. Notre public est surtout en France et en Belgique, mais on a envie d’ouvrir au Luxembourg, à l’Allemagne…» Pour cela, ils peuvent compter sur les contacts de leur collègue luxembourgeois et la version anglaise de leur publication, qui sort tous les deux mois, sur papier et en ligne, et qui en est bientôt à son cinquième numéro. «Le paradoxe, c’est que notre magazine marche mieux sur papier qu’en digital. Le papier tend à disparaître mais le monde des collectionneurs est vraiment particulier : ils adorent le physique.»
Un petit bout de Tokyo au Grand-Duché
«Resins of Otakus, c’est une espèce de Shônen Jump (NDLR : le magazine de référence du manga au Japon) français, qui s’intéresse plus particulièrement aux collections. On donne aussi de la visibilité à des mangakas français indépendants, dont on publie à chaque numéro un chapitre de leur manga phare actuel», dit Miguel. Eux-mêmes collectionneurs, ces «otakus» – un mot japonais qui définissait, à l’origine, les inadaptés sociaux, et que se sont réapproprié les fans de pop culture japonaise – se sont rencontrés sur Facebook, à travers un groupe privé, pour ensuite faire connaissance «IRL» («in real life») autour d’un projet qui existe par passion. «Nous ne sommes pas qu’un magazine, tempère Miguel. On est très présents sur les réseaux et on anime une émission sur Twitch tous les dimanches, pour parler de l’actualité de la résine et de toutes les sorties de la semaine.»
Un peu plus loin, deux enfants se défoulent sur une borne d’arcade, une jeune fille impressionne ses amis sur un solo de Queen à Guitar Hero, un garçon s’entraîne à Super Smash Bros. en attendant le grand tournoi de l’après-midi, le tout sous le regard amusé d’une joyeuse bande dont tous arborent le même t-shirt bleu au mystérieux logo jaune. Ces amateurs de jeux vidéo de toutes les époques, et sur tout type de console, ont l’admirable ambition de vouloir «fédérer toute la communauté « geek » du Luxembourg en lui proposant un point de chute» : le bar «gaming» Respawn, soit 400 m² de jeux qui seront inaugurés demain à deux pas des Rotondes, rue du Fort-Neipperg. François, qui a lancé le projet avec un associé, présente l’endroit : «Au rez-de-chaussée, on peut profiter du bar et jouer à des jeux de société. Puis on a une sorte de cave, illuminée par des néons bleus, dans lequel on trouve un espace LAN, deux box pour faire du Guitar Hero ou du Dance Dance Revolution, des salons avec consoles et petit canapé… On y sera vraiment bien!» Un vrai petit bout de Tokyo au Grand-Duché, en somme.
Respawn attend d’ouvrir depuis un an : par chance, la Geek Foire tombe deux jours avant son inauguration, mais les deux associés ont lancé le projet peu avant le premier confinement. «Notre propriétaire ne nous a pas fait payer de loyer pendant que le local restait inoccupé. Contrairement à d’autres, on s’en est très bien sorti», reconnaît François. Les nombreux artistes venus exposer leur travail, eux, n’ont pas forcément eu la même veine : le peintre et illustrateur Kodji, dont le travail s’inspire «des mangas, de la culture gréco-romaine ou des traditions et rituels africains», ou Brandon, qui fabrique, avec son imprimante 3D, d’impressionnantes pièces uniques inspirées de l’univers du manga, tous parlent du confinement comme d’une période qui a profité à leur énergie créative mais qui n’a malheureusement rien fait pour leur donner la visibilité qu’ils méritent. Et malgré leur présence sur les réseaux sociaux, qu’ils alimentent régulièrement de photos de leurs créations, les conventions sont essentielles pour rencontrer leur public. «Je commence à me faire connaître en tant qu’illustrateur, mais même quand on est connu, c’est déjà pas évident, assure Kodji. J’ai fait pas mal d’expositions par le passé avec mes peintures, mais avec le Covid, j’ai dû travailler dans d’autres domaines pour rentrer un peu d’argent dans les caisses.»
Midi approche, et avec le soleil au zénith, certains enfilent leur plus beau costume prévu spécialement pour la Geek Foire avant d’aller profiter d’un burger et d’une boisson fraîche dans la cour des Rotondes. Christian, lui, revend des mangas et des figurines dont il se sépare, et le fait avec classe : en cosplay de Zenitsu, le drôle d’acolyte du héros de Demon Slayer. «Très content de voir du monde et de refaire une convention», ce Luxembourgeois de 27 ans «adore fabriquer des costumes à partir de personnages populaires» et a déjà pu en exhiber d’autres «à deux conventions» ces dernières années.
Quelques mètres plus loin, une visiteuse à poils longs, dans son costume d’Infinite, l’antagoniste du jeu Sonic Forces, défile d’un bout à l’autre de la galerie. On la recroisera plus tard, le haut du costume sous le bras. Pascaline est venue de Belgique, le sourire jusqu’aux oreilles derrière son masque. «Ça fait plaisir d’être là!», s’exclame-t-elle, elle qui écume les conventions dès qu’elle le peut, et dont la dernière remonte à 2019. «Ça me manquait franchement.» L’univers «geek», elle le connaît bien, et est familière avec plus d’un exposant, qu’elle suit sur Instagram ou qu’elle a rencontré dans une convention. Mais affirme être venue dans un but précis : «J’avais dans l’idée de trouver une boîte à bento!» Espérons qu’elle ait trouvé son bonheur; après tout, qui a dit que «gamer» ne rimait pas avec «gastronome»?
Valentin Maniglia