Cette semaine, Promenade Blue de Nick Waterhouse, sorti le 9 avril sur Label Innovative Leisure.
Pantalon à pinces, chemise boutonnée jusqu’en haut du cou, lunettes épaisses à la Buddy Holly et mèche rebelle volant au vent… Nick Waterhouse vient d’un autre temps. Il en a l’élégance et la musique. Il le rappelle d’ailleurs régulièrement à chacun de ses albums qui ramènent aux images de films américains des années 50-60 : la voiture décapotable, la gomina dans la boîte à gants, les milkshakes au drive-in, les virées entre potes sur fond de rock, de bagarres et de cœurs brisés.
Des fantômes couleur sépia que le musicien ressuscite sans forcer le geste, ni le trait. Naturellement. Telle est sa force, son don. Comme si on l’avait laissé depuis tout ce temps dans la glace, pour le dégeler en 2012, date de son premier album (Time’s All Gone). Mais non, Nick Waterhouse n’a pas hiberné, ni trouvé une faille spatio-temporelle derrière le juke-box : il a 35 ans, et c’est en Californie, sa terre, qu’il sublime cet amour pour les vieilles choses. Une passion qui tient même lieu d’obsession, car avec lui, tout doit être d’époque : les micros, les amplis, l’enregistrement…
Ce Promenade Blue, son cinquième disque, ne trahit pas cette hantise : encore une fois, et mieux que sur son dernier essai (Nick Waterhouse, 2019), le crooner continue de puiser dans cette soul à l’ancienne, qui retrouve alors l’éclat de ses plus beaux jours. Oui, il la transcende. Car le garçon y met du cœur, se raconte à la première personne, évoque la nostalgie apaisante et l’incertitude des lendemains. Entre ses hauts et ses bas, ses joies comme ses défaites, Nick Waterhouse maintient le cap avec grâce, toujours impeccable dans ses costumes sentant la naphtaline.
Un équilibre qui s’opère également en musique. Le déhanchement est assuré, malgré les oscillations sonores : rhythm’n’blues, doo-wop, jazz, rock vintage… Tout y passe ! Avec subtilité et sens du groove, les onze morceaux ici réunis font tous figures de tubes. Mais aucun ne veut prendre le dessus sur les autres, comme unis pour célébrer la beauté d’un âge révolu. Et Nick Waterhouse sait soigner l’ensemble, en y ajoutant des chœurs masculins-féminins (en mode gospel-Motown) et une instrumentation granuleuse, appuyée par le savoir-faire du producteur anglais Paul Butler (qui a notamment accompagné Michael Kiwanuka dans son ascension).
Oui, il y a plus de 60 ans, Promenade Blue aurait sûrement trusté les premières places des charts. On imagine d’ailleurs bien la scène sur grand écran : une radio d’un rose bonbon posée au bout du bar qui fredonnerait Place Names, The Spanish Look, Vincentine et les autres. Le samedi soir, on augmenterait sûrement le volume pour danser et rêver que la nuit ne s’arrête jamais. Dans son coin, Nick Waterhouse, caché derrière ses lunettes noires, quitterait la place sans qu’on le remarque. Avec classe. Dans le film, au volant de sa Cadillac, accompagné de ses seules chansons (tout aussi lustrées), l’horizon s’ouvrirait à lui. Problème : il n’y a que la marche arrière qui fonctionne, comme il l’affirme sur Bandcamp : «Ainsi, nous continuons à avancer à contre-courant, ramenés sans cesse vers le passé…».
Grégory Cimatti