La réouverture des terrasses, annoncée pour le 7 avril, n’est pas accueillie sans critiques par les acteurs de la restauration… Le point avec Yannis Xydias, du groupe Manso.
Pour Yannis Xydias, associé au sein du Manso Group – qui regroupe douze restaurants à Luxembourg et aux alentours, compte 250 employés et réalise un chiffre d’affaires annuel de 24 millions d’euros (en temps normal) –, la réouverture des terrasses soulève de nombreuses questions.
Certes, il est d’avis que «toute forme de réouverture est une bonne chose, de même que toute mesure qui nous permet de reprendre une activité professionnelle. La réouverture des terrasses est une mesure d’ordre symbolique qui traduit une volonté de rouvrir le secteur Horeca.» Mais d’un autre côté, Yannis Xydias estime qu’il ne faut pas se voiler la face : «Cela nous cause d’évidents problèmes opérationnels. En effet, financièrement et opérationnellement, cette mesure n’est pas très avantageuse pour des restaurants de notre taille. Le compte ne sera pas au rendez-vous. Malgré tout, je note un aspect positif, à savoir que nos clients se rappelleront que nous sommes toujours présents pour eux, après des mois de fermeture.»
Une croix sur les dîners
En outre, les horaires avancés (6h-18h) sont très loin de satisfaire le secteur de la restauration. «Avec de tels horaires, on ne peut rien prévoir pour le dîner, car la plupart des gens viendront de sortir du bureau lorsque nous devrons fermer. Je trouve triste que l’heure de fermeture n’ait pas été fixée à 20h, car avec un climat plus chaud, on pourrait offrir un service de dîner, ce qui est beaucoup plus intéressant en termes de marge. Un décalage de deux heures aurait fait une énorme différence pour les restaurants !»
Pour ce qui est du nombre limité de personnes à la même table, l’associé du groupe Manso se montre également sceptique : «Pour le service de midi, nous avons surtout des collègues de travail qui viennent déjeuner ensemble, tandis que pour le dîner nous accueillons avant tout des groupes d’amis. Alors si on restreint les tablées à deux personnes au déjeuner, cela limite inévitablement l’attractivité du restaurant. Évidemment, nous avons envisagé des formules de restauration dans l’après-midi, mais je ne m’attends pas à des miracles ! Il ne faut pas non plus oublier que nous sommes dépendants de la météo. S’il commence à pleuvoir en plein milieu d’un service, on ne pourra pas mettre les clients à l’intérieur…»
Difficile donc d’avoir une vue claire sur les besoins de chaque jour. Les douze restaurants du groupe proposent des cartes de menus «assez conséquentes et de nombreuses choses doivent être préparées à l’avance. Il faudra prévoir x filets de bœuf ou salades sans savoir si ces plats seront effectivement servis. Et puis il y a toujours cette question de la météo qui jette une véritable incertitude sur nos activités. La réflexion vaut également pour le nombre d’employés nécessaires à prévoir pour le service… Certes, nos douze restaurants disposent tous d’une terrasse, mais elles sont de taille différente. De plus, l’une d’entre elles est impactée par les travaux du tram, et on ne sait pas si on pourra l’ouvrir.»
De 10 à 20% de capacité de fonctionnement
La situation apparaît donc plus que compliquée pour le secteur de la restauration en général et pour les établissements du groupe Manso en particulier, lesquels prévoient de 10 à 20% de capacité de fonctionnement. «Mais tout cela dépendra bien sûr de la réaction des clients et de l’agencement des tables en terrasse. En moyenne, sur un jour ensoleillé, on pourrait être à 60%.»
Yannis Xydias critique «l’attitude paternaliste du gouvernement, qui ne fait confiance ni aux citoyens ni aux restaurateurs. Car il est tout à fait possible de dîner sur une terrasse le soir dans les mêmes conditions qu’à midi. Et s’il s’agit d’une question liée à la consommation d’alcool, j’assure que si un client a trop bu, on peut toujours le calmer, car c’est aussi cela notre métier. Mais il s’agit soi-disant d’une mesure préventive… Ça va un peu loin, quand même».
Concernant l’ambiance qui règne au sein des troupes (250 employés), l’associé du groupe Manso se montre tiraillé : «Nos employés veulent travailler, car ils aiment leur travail. Un bon nombre d’entre eux sont déjà actifs par rapport à la réouverture des terrasses, mais il reste toujours des incertitudes qui planent au sujet de la durée des restrictions. Sans oublier qu’au niveau du management, on se pose des questions par rapport aux investissements futurs que l’on souhaite faire. Si, par exemple, on nous accorde une terrasse supplémentaire, il faudra bien investir dans du mobilier. En clair, nos employés ont hâte de recommencer, mais après ce long arrêt, cela prendra du temps avant qu’ils reprennent le rythme.»
En guise de conclusion, Yannis Xydias estime qu’on assiste à «un pas timide du gouvernement, certes, mais qui va dans la bonne direction. Cela dit, l’État devra, à un moment donné, endosser la responsabilité de ses décisions. Car on est en train de stigmatiser tout un secteur et les impacts en sont disproportionnés. Quant au préjudice subi depuis le début, il est énorme.»
Claude Damiani
Cafés : «Il n’y aura plus d’apéro possible»
Cristina, serveuse de la brasserie Rex d’Esch, salue une réouverture qui bénéficiera surtout aux seniors. Mais elle exige que les consignes soient enfin respectées.
Pour Cristina, serveuse de la brasserie de la place du Brill à Esch-sur-Alzette, la nouvelle annonce gouvernementale est ambivalente. «D’un côté, elle va dans la bonne direction, notamment pour les personnes âgées et les retraités, du point de vue d’une reprise des interactions sociales. Beaucoup d’entre eux dépriment, car ils sont les grands perdants et manquent énormément de contacts sociaux.»
La serveuse de la brasserie Rex estime que les horaires autorisés vont exclure toute une partie de la population. «Qui s’installera en terrasse d’un café à 6h, si ce n’est les ouvriers qui prennent leur expresso avant de partir au chantier ? Et, de toute façon, les fumeurs ne boivent pas leur café à l’intérieur… mais quelque part, cette idée n’est pas si mauvaise, car au lieu de consommer et de fumer devant le café, ils devront désormais le faire assis à table.»
«Stress énorme pour le personnel»
Pour ce qui relève de l’heure de fermeture, fixée à 18h, Cristina est là aussi catégorique : «La fermeture virtuelle se fera déjà à 17h et non 18h . Il n’y aura donc plus d’apéro possible. Pour les travailleurs actifs, cette décision ne convient pas du tout, à part peut-être le week-end.»
Forte de l’expérience acquise lors du déconfinement de fin mai 2020, Cristina craint de devoir faire face à des difficultés avec les clients. «Certaines personnes ne respectaient pas les règles sanitaires, car elles n’avaient rien compris du tout à la pandémie. Je lance donc un appel au bon sens des gens, car ce deuxième confinement (NDLR : pour l’Horeca) est bien plus dur que le premier. Les gens doivent comprendre qu’il y a des règles à respecter vis-à-vis des cafetiers, des autres clients et du personnel. Le stress est énorme pour le personnel et il ne faudrait surtout pas en arriver à une situation belliqueuse entre les serveurs et leurs clients ! C’est seulement à ces conditions que nous retrouverons une certaine normalité.» Enfin, Cristina n’oublie pas un élément capital pour une ouverture en terrasse : «Espérons que la météo sera de notre côté.»
C.D