En général, en instance d’appel, le prévenu conteste sa peine de prison. Pas lundi après-midi. Le jeune homme jugé pour avoir planté un couteau dans le dos de son adversaire, près de la gare à Esch à l’été 2018, s’est plaint des frais de justice qu’il doit payer.
Il a été condamné pour tentative de meurtre. Pour avoir poignardé un jeune homme de 25 ans dans le dos, le dimanche 15 juillet 2018 en fin d’après-midi, à Esch-sur-Alzette, Gilson V. (28 ans) a pris 12 ans de réclusion, dont six avec sursis. Placé sous le régime du sursis probatoire pour la durée de cinq ans, il a l’obligation d’indemniser la victime.
Lors de son procès en première instance, il avait contesté contre vents et marées avoir porté le coup de couteau. «Si c’était moi, on y aurait retrouvé mon ADN. Comment ai-je pu poignarder quelqu’un sans laisser de traces sur l’arme?» C’était son refrain à la barre. Le déroulement de cette rixe sanglante avait longuement occupé les débats.
Son avocat avait plaidé l’acquittement, estimant que le témoignage clé et l’expertise ADN des vêtements de la victime ne permettaient pas de conclure à l’abri de tout doute que Gilson V. était l’auteur du coup de couteau… La 13e chambre criminelle a toutefois tranché différemment dans son jugement le 8 octobre 2020. Elle a suivi les réquisitions du parquet.
Sa condamnation quant aux faits, Gilson V. semble l’avoir finalement acceptée. Car lors de son procès en appel lundi après-midi, il s’est uniquement focalisé sur les frais de sa poursuite pénale. On en parle plutôt rarement. Ces coûts peuvent tourner autour de quelques euros. Mais ces derniers peuvent aussi être très élevés dès que des expertises sont réalisées. Et ce fut le cas dans cette affaire.
Le prix de quatre rapports d’expertise
Lorsque la victime, blessée, a été retrouvée par une patrouille de police dans le rond-point situé boulevard J.-F.-Kennedy, près de la gare, la lame de 11 cm du couteau était toujours plantée dans son dos. Elle a dû être retirée sous anesthésie au CHEM. Il y a eu expertise médico-légale pour déterminer la gravité des blessures.
Le couteau lui-même n’a pas permis de faire avancer l’enquête. Seul le profil génétique de la victime a pu y être mis en évidence. Les traces d’un potentiel autre contributeur étaient en trop faible quantité pour permettre une identification. N’empêche qu’il y a eu expertise génétique. Le spécialiste en identification génétique s’est par ailleurs penché sur les vêtements de la victime. C’est là que l’ADN de Gilson V. a pu être mis en évidence : sur la chemisette au-dessus de laquelle la victime portait une veste en cuir…
Une expertise psychiatrique du prévenu a été réalisée pour voir si au moment des faits reprochés il n’était pas atteint d’un trouble mental ayant altéré son discernement ou aboli le contrôle de ses actes. Enfin, il y a eu une expertise toxicologique de la victime. Somme toute, avec tous ces rapports et en ajoutant les frais de convocation des experts et témoins, on arrive à un total de 13 932 euros.
«Je n’ai pas les moyens de payer tout cela. Avec les 10 000 euros à verser à la partie civile, cela fait 23 000 euros en tout…», expliquait le jeune homme lundi. Seul, sans l’assistance de son avocat, il avait décidé de venir défendre sa cause à la barre de la Cour d’appel.
Un salaire de 350 à 400 euros à Schrassig
En lui accordant la faveur du sursis probatoire partiel, la chambre criminelle a estimé que cette peine «est susceptible de donner (…) une motivation supplémentaire d’indemniser la victime». Toujours est-il qu’il faut qu’il la rembourse. Et en gagnant actuellement entre 350 et 400 euros par mois avec son travail à la buanderie en prison, Gilson V. ne voit pas trop comment s’en sortir. «Cela fait deux mois que je paie la victime, illustre-t-il. 50 et 70 euros…»
«Je suis d’accord avec les 10 000 euros pour la partie civile. Mais Madame est-ce qu’on peut trouver un moyen de baisser les 13 000 euros de frais?», demandera le prévenu à la Cour d’appel avant de reprendre place sur le banc.
Il est extrêmement rare qu’un prévenu limite son appel aux frais d’instance. Pour le parquet général, son appel n’est toutefois pas fondé : «Je comprends son problème, mais la loi est claire», estime sa représentante, citant l’article 162 du code de procédure pénale. À l’issue d’un procès, c’est la partie reconnue coupable qui «est condamnée aux frais».
Voilà pourquoi le parquet général demande à la Cour d’appel de confirmer le jugement quant aux frais. «Il ne vous est pas loisible de les diminuer. Il a été condamné pour tentative de meurtre. Maintenant qu’il est reconnu coupable, les frais vont de pair avec sa condamnation.»
Il y a la possibilité d’un paiement échelonné. Mais c’est le service de l’exécution des peines qui s’en occupe. Cela n’entre pas dans le champ de compétence des juges du fond. La Cour d’appel rendra sa décision le 31 mars. «J’ai besoin d’être présent, Madame?», voulait savoir le prévenu avant de quitter la salle sous escorte policière.
– «C’est comme vous voulez.»
Fabienne Armborst