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Transfrontalier : le «codéveloppement», si attirant et pourtant…


Corinne Cahen ne présente que de légers symptômes. (photo d'archives : Tania Feller).

Dans un tweet posté mardi soir, la Ministre luxembourgeoise chargée du transfrontalier, Corinne Cahen, semble ouvrir la porte à des projets communs à la frontière, sur des domaines aussi variés que «les transports, la santé, la formation, la culture». Une nouveauté, par rapport aux positions figées du sommet de 2018. Mais des coups d’épée dans l’eau, par rapport à l’idée d’une mobilisation dynamique des ressources fiscales, auxquelles les frontaliers contribuent.

«Conférence intergouvernementale» : le terme est technique. Les «CIG» se tiennent régulièrement entre états, pour faire avancer les dossiers dans un échelon en-dessous d’un «sommet» officiel, comme celui de 2018 entre la France et le Grand-Duché.

Étonnamment, la dernière CIG franco-luxembourgeoise, qui devait se tenir à l’automne 2020, avait été annulée pour cause de «contexte Covid».

Mardi, la ministre luxembourgeoise Corinne Cahen a laissé voir un nouvel espoir : une  CIG est bien en préparation. Des sujets aussi variés qu’une coopération sur «les transports, la santé, la formation, la culture» seraient sur la table.

 

Le ton change par rapport à 2018, où le « codéveloppement » entre le Luxembourg et ses bassins frontaliers ne se résumait qu’à du transport : comment acheminer toujours plus de frontaliers vers un Luxembourg en train d’étouffer dans ses frontières (crise du logement qui va grandissante et crise de la mobilité qui se résorbe trop doucement).

Sous la pression des Luxembourgeois progressistes et des voisins lorrains, l’idée d’une métropole transfrontalière qui joue collectif à tous les niveaux est désormais bien ancrée. Que donnera cette future CIG ? Du cofinancement pour un lycée transfrontalier ? Pour de la culture avec Esch 2022 qui se profile ? Pour faire bouger plus rapidement le dossier du « superbus » censé relier Audun-Villerupt au Luxembourg ? Les idées ne manquent pas.

Et pourtant, cette nouvelle ouverture à peine évoquée, on peut déjà pointer une avancée sous-dimensionnée. Le codéveloppement « projet par projet » ne répond que très partiellement à la question d’un meilleur équilibre entre les territoires pour les raisons suivantes :

• Les sommes ne sont pas en phase avec les externalités apportées par les frontaliers français au budget luxembourgeois : la Cours des comptes luxembourgeoise nous expliquait qu’en 2019, le seul impôt sur le revenu des actifs avait constitué une recette de 4,1 milliards d’euros dans les caisses de l’état. Sachant que les frontaliers français pèsent pour 25% de l’ensemble des actifs, on imagine le poids dans la balance des 120 millions d’euros de « cofinancement » signés un an plus tôt, entre la France et le Luxembourg, pour des projets en Lorraine…

• Les sommes ne portaient jusqu’à présent que sur des projets liés à la mobilité : parking-relais et quais de gare… le transport frontalier, s’il est un problème évident, ne fait pas l’Alpha et l’Omega d’un territoire plus vertueux. Répondre à la question « comment acheminer toujours plus de frontaliers vers Luxembourg ? » ne répond pas à la question des déséquilibres territoriaux profonds, engendrés par le développement du travail frontalier ces trente dernières années. Les capacités financières des communes de part et d’autre de la frontière sont d’un delta de quatre à cinq fois moins important, alors qu’elles participent à un même bassin de vie. Les proportions deviennent délirantes : Esch-sur-Alzette a par exemple planifié un budget 2021 avec près de 130 millions d’euros d’investissement, soit 100 millions d’euros de plus que l’investissement envisagé à Metz… édifiant !

• Ces investissements ne permettent pas de répondre au besoin des communes frontalières pour le «roulement» du quotidien, elles qui doivent assurer la résidentialisation d’une population grandissante, notamment incapable de se loger au Grand-Duché : imaginons un super centre de formation sur le territoire de Villerupt-Audun, l’un des plus pauvres de Lorraine. Une fois l’infrastructure co-financée, qui va devoir payer les « finitions » ? L’entretien des rues pour y mener, du stationnement autour, des déchets qu’il faut gérer sur une infrastructure, des bus pour y parvenir ? L’investissement public c’est comme une voiture : il y a le prix à l’achat, parfois séduisant, et le garagiste les dix prochaines années ! C’est d’ailleurs ce qui plombe l’inauguration du parking relais de Metzange (qui participe notamment à une augmentation des impôts dans la Fensch), pourtant cofinancé par le Grand-Duché.
En clair : ces territoires, en partie asséchés en ressources fiscales par le phénomène frontalier -il n’y a pas d’entreprises à taxer puisqu’elles sont de l’autre côté, n’ont déjà pas les moyens du roulement du quotidien de leurs communes…inutile de charger la mule, une démarche efficace serait déjà de leur permettre d’étoffer leur budget.

Territoire commun, budget commun ? 

Un nombre grandissant d’acteurs du transfrontalier estiment que la vision « projet par projet » est un piège, et qu’il faut se positionner sur l’idée d’une ressource budgétaire mieux partagée, puisqu’il y a un territoire commun. C’est évidemment le cas des partisans des compensations financières sur le modèle genevois :  les communes frontalières de Genève bénéficient de budgets considérablement ajustés par la rétrocession financière annuelle, mieux adaptés à l’implantation de nouveaux habitants.

Mais c’est aussi le cas de ceux qui s’interrogent sur l’après Covid à la frontière. Vincent Hein, chercheur à la Fondation Idéa du Luxembourg, expliquait en février sur le blog du think-thank, qu’il faudrait se servir de la fiscalité du télétravail pour relancer la coopération transfrontalière. L’auteur suggère, dans un approfondissement d’une thèse émise par le maire de Thionville : «une des solutions serait de négocier avec les États voisins, dans le cadre de Traités bilatéraux sur le codéveloppement, une répartition équitable de la fiscalité prélevée sur le télétravail des frontaliers pour abonder des fonds de codéveloppement». Un vrai levier d’action commun donc, qui ne soit pas du «à la carte» hasardeux, et qui se rapproche de l’idée d’un budget métropolitain transfrontalier.

Si on peut le faire sur la fiscalité du télétravail, pourquoi ne le ferait-on pas sur la fiscalité du travail tout court, serait-on tenté de dire ? Peu importe, les nouvelles lignes d’avenir sont sur ces idées de ressources fiscales partagées, bien plus que sur le «codéveloppement». En off, une personnalité politique luxembourgeoise de premier plan nous assurait d’ailleurs récemment : «l’impôts passe mieux auprès des contribuables lorsque l’on présente des projets concrets. Mais l’idée d’un fonds pour le transfrontalier doit être creusée».

Hubert Gamelon

 

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