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Crise du Covid : le «socialisme pandémique» s’est avéré payant


«L’année écoulée n’a pas été vaine. Nous avons appris beaucoup de choses, d’un point de vue tant économique que social», résume Muriel Bouchet, le directeur de la Fondation Idea. (Photo : Idea)

La Fondation Idea salue dans son avis annuel l’«action résolue» de l’État pour amortir l’impact économique de la crise sanitaire. En fin de compte, selon elle, le Luxembourg a bien tenu le choc.

Quel est le point commun entre le film Retour vers le futur et la chanson Hotel California? Tous les deux apparaissent dans l’avis 2021 de la Fondation Idea. Sans trop de surprise, ce laboratoire d’idées lancé en 2014 avec le soutien de la Chambre de commerce s’est penché pour cet exercice annuel sur l’impact économique de la crise sanitaire. L’allusion au film culte sert à souligner que cela vaut bien la peine de revisiter l’année 2020. «Notre avis est intitulé L’An 2020, vain!. Or l’année écoulée n’a pas été vaine. Nous avons appris beaucoup de choses, d’un point de vue tant économique que social», résume Muriel Bouchet, le directeur de la fondation.

Le titre culte des Eagles fait lui référence à la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne (BCE). Si la question sur l’avenir de ce concept est un peu complexe à décortiquer pour le grand public, il est plus important de se pencher sur le «socialisme pandémique», autre concept clé analysé par les experts d’Idea. Cette nouvelle forme de socialisme englobe l’ensemble des aides étatiques visant à permettre d’amortir au mieux l’impact économique de la crise sanitaire. Au Luxembourg, une enveloppe de 1,5 milliard d’euros en aides directes a été débloquée par le gouvernement. «Il s’agit de 2,6 % du PIB. Lors de la crise financière de 2009 et 2010, l’impulsion de l’État s’est limitée à 1 % du PIB par an», retrace Muriel Bouchet. Cette «action résolue» de l’État aurait permis au Luxembourg de bien tenir le choc lors de la première année de pandémie.

La chute du PIB freinée net

Selon les plus récents chiffres du Statec, la chute du produit intérieur brut (PIB) devrait se limiter à 1,3 % en 2020. L’année de crise 2009 s’était soldée par une chute du PIB de l’ordre de 4,4 %. Pour cette année 2021, le Statec mise sur une croissance de 4 %. Cette prévision se veut toutefois optimiste. Dans un sondage non représentatif réalisé par Idea («Consensus économique»), un panel de 160 acteurs de terrain (économie, politique, partenaires sociaux) s’attend à une levée des restrictions sanitaires dans le courant du deuxième (35 %) ou du troisième trimestre (50 %). La relance économique est attendue de pied ferme, mais il reste bon nombre de zones d’ombre à lever.

L’avantage du Luxembourg est de pouvoir partir sur une base solide. C’est le seul pays de l’UE à avoir connu une croissance de l’emploi (+2 %) en 2020. Le chômage n’a pas connu d’explosion. Quant aux finances publiques, elles restent aussi solides. «Le déficit de 2020 est certes le pire depuis 1995. Or d’un point de vue plus optimiste, le Luxembourg fait mieux que les autres pays. La bonne situation de départ est à souligner», résume Muriel Bouchet. Les «surperformances» d’une série de secteurs économiques (non-marchand, services aux entreprises, technologies et communication) tout comme le télétravail ont notamment permis de garder l’économie, et donc les finances publiques, à flot. «Ainsi, sous l’effet d’une activité économique assez résiliente, les recettes (…) des administrations publiques devraient au total diminuer de 1,8 % « seulement » en 2020, alors que le projet de budget 2021 tablait encore, à la mi-octobre, sur une chute de quelque 5,5 % de ce même agrégat», détaille Idea dans son avis.

«Tout ne va pas pour le mieux»

Malgré ces points positifs, «tout ne va pas pour le mieux au Luxembourg». «Des problèmes comme le logement se sont accélérés lors de la crise sanitaire», fait remarquer Muriel Bouchet. Une hausse de 17,5 % des prix pour les appartements au 3e trimestre 2020 illustre la situation tendue sur le marché du logement. Une augmentation des jeunes en décrochage scolaire ou sans emploi inquiète également Idea. Le chômage longue durée, également en hausse, constitue un autre enjeu de taille.

Tous ces éléments doivent être pris en compte pour préparer la sortie de crise. Le «socialisme pandémique» ne pourra pas s’éterniser, souligne l’avis d’Idea. Selon le panel d’acteurs de terrain interrogés lors du sondage «Consensus économique», la priorité doit être la mise sur pied d’un «plan de relance» par le biais d’un investissement «ambitieux» (88 %), d’inciter les «ménages aisés qui ont épargné à consommer plutôt qu’à investir dans l’immobilier» (75 % de soutien) et d’adopter de «nouvelles mesures redistributives» (73 %). Par contre, l’ouverture du débat sur une réduction de la dette publique ne figure pas en tête des préoccupations des acteurs de terrain interrogés par Idea.

David Marques

Une vague de faillites redoutée après l’été

L’impact de la crise sanitaire sur les faillites constitue un double paradoxe. Le premier réside dans le fait que l’année 2020 s’est clôturée sur un nombre de mises en faillite inférieur à celui de 2019. Le Statec indique que 1 206 entreprises ont fait faillite en 2020, contre 1 239 en 2019 et 1 168 en 2018. «Ce chiffre est surprenant au vu de la gravité de la crise», ont noté, hier, les responsables d’Idea. Un facteur explicatif pourrait être que «la crise n’est pas née d’un dysfonctionnement économique, mais de la mise sous cloche de l’économie pour raisons sanitaires».

Le second paradoxe est que les économistes prédisent une vague de faillites «au moment de la reprise économique». «L’alerte sera déclenchée au moment où on aura l’impression que tout va bien», précisent les experts d’Idea. Les patrons devront à nouveau passer des commandes et payer les loyers ou rembourser les cotisations et impôts reportés. Avec la fin du chômage partiel, ils devront aussi à nouveau payer l’intégralité des salaires.

Un sondage non représentatif mené auprès de 160 décideurs économiques, politiques, partenaires sociaux et économistes en vient à la conclusion que les faillites devraient se multiplier après l’été 2021, avec une onde de choc qui pourrait se prolonger jusqu’à fin 2022. Il s’agit de la raison principale qui explique qu’Idea appelle l’État «à ne pas fermer le robinet trop vite». «Il ne faut pas lâcher les entreprises en difficulté. Le défi sera de garder un pied sur le frein tout en accélérant. Il faudra se montrer imaginatif», concluent les auteurs du rapport annuel d’Idea.

Objectifs climatiques : le pessimisme demeure

Lors de la présentation du rapport annuel d’Idea, la question climatique n’a été mentionnée que très brièvement. Dans le chapitre consacré aux perspectives pour 2021, il est indiqué qu’il ne faut pas oublier les «autres défis», dont la trajectoire vers la neutralité climatique. Or le panel de 160 acteurs de terrain, composé de décideurs économiques, responsables politiques, représentants des partenaires sociaux et d’économistes, interrogés dans le cadre du sondage «Consensus», reste assez pessimiste sur le fait d’atteindre les ambitieux objectifs que s’est fixés le Luxembourg pour l’année 2030.

Le gouvernement ambitionne de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % par rapport à l’année 2005, augmenter la part des énergies renouvelables à 25 % et réduire la demande énergétique finale de 40 à 44 %. Sur les 160 personnes ayant participé au sondage d’Idea, 54 % jugent que ces objectifs ne sont pas atteignables. «En revanche, la part des répondants estimant que ces derniers sont atteignables a sensiblement progressé par rapport à l’année dernière en particulier pour le Luxembourg (passant de 34 % à 46 %)», peut-on lire dans les conclusions du sondage. Dans le cadre de la relance post-Covid, Idea plaide pour «accélérer la transition économique vers la durabilité écologique, en soutenant par exemple davantage la mobilité douce, l’efficacité énergétique et la consommation responsable. En entamant en parallèle un débat de fond sur le télétravail et plus généralement sur la transition numérique, qui ont connu une subite montée en puissance durant la crise sanitaire».