Alors que l’Europe se reconfine face aux assauts de la pandémie, la contestation grandit dans un secteur de la restauration laminé par des mois de fermeture et l’absence de perspectives.
Christina, Laurent, Jiri et Martin : de Genève à Sofia, les témoignages de quatre représentants qui racontent l’impact de la crise sanitaire sur leur métier.
« Ne jamais abandonner »
« Mourir d’ennui » : à l’entrée d’un café de Vienne, un squelette en tenue de serveur brandit un écriteau qui reflète l’état d’esprit de la patronne, Christina Hummel. Troisième génération de sa famille à diriger l’établissement du même nom, elle a récemment participé à une action symbolique pour dire son désarroi face au troisième confinement de l’Autriche.
« Nous essayons de traverser la crise de manière créative et positive », confie cette gérante de 44 ans, devant la salle au décor tamisé et aux moelleuses banquettes. Mais elle se dit découragée par les revirements incessants du gouvernement. Nombreux sont ceux dans le secteur à avoir le sentiment d’être « baladés de semaine en semaine », regrette-t-elle.
En revanche, pas question pour elle de violer les règles. « Je ne ferais rien qui m’attire des ennuis ou m’oblige à payer une amende », souligne Christina Hummel, rappelant qu’elle a un fils de six ans et des employés à faire vivre. Et de souligner le fait qu’elle a conscience de la « gravité » de la situation : « je ne suis ni une coronasceptique ni une théoricienne du complot », insiste cette « passionnée » qui garde espoir sur le long terme. « La culture des cafés viennois a déjà traversé plusieurs crises et ce mode de vie ne disparaîtra jamais. Comme dit l’adage : un vrai Viennois n’abandonne jamais ».
« C’est déjà trop tard »
A Genève, Laurent Terlinchamp est moins optimiste. Président de la Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers, il assiste impuissant à des faillites en série. Les adhérents sont au « désespoir », lourds de la « responsabilité de collaborateurs qu’ils ne peuvent pas payer, de charges » qu’ils ne peuvent pas honorer, « d’un avenir qui n’existe plus ». « Pour 30% d’entre eux, ce qui correspond à plus de 600 entreprises, c’est déjà trop tard », lâche-t-il.
Lui aussi déplore l’incertitude : « Ce qui m’importe, c’est de savoir quand on va rouvrir dans des conditions viables », et d’ici là « d’avoir des aides » suffisantes pour se dire : « Je ne vais pas perdre mon commerce, c’est-à-dire ma vie ».
« Je ne plierai jamais »
Pour ne pas broyer du noir, le Tchèque Jiri Janacek a lui choisi de se rebeller. Depuis le 9 décembre, il accueille de nouveau les clients dans sa petite brasserie, Maly Janek, située à une quarantaine de kilomètres au sud de Prague, défiant ouvertement les restrictions. « Nous avons perdu patience quand le gouvernement a changé les règles trois fois en une seule semaine », explique cet ancien politicien de droite.
Dans ce pays champion du monde de la consommation de bière, il a organisé début janvier, avec d’autres restaurateurs, une chaîne de chopes d’un kilomètre de long dans le centre-ville de Prague. « Je ne plierai jamais » malgré les visites de la police ou les amendes des autorités sanitaires, promet-il, balayant le risque que son pub ne devienne un foyer de contaminations.
« On ne peut plus accepter un tel traitement »
A un petit millier de kilomètres de là, en Bulgarie, Martin Mihaylov se mobilise aussi. Cet homme de 41 ans, qui tient trois bars qui sont de hauts lieux de la vie nocturne de Sofia, a prévu de descendre dans la rue ce mercredi pour dénoncer le « manque de soutien de l’État » et défendre sa « liberté ».
« Les autorités n’ont jamais respecté le calendrier donné. On ne peut plus accepter un tel traitement ! », s’emporte-t-il dans l’un de ses établissements déserts, Terminal 1, casquette vissée sur la tête. « Nous ne le ferons pas de gaieté de cœur mais nous allons peut-être devoir finir par enfreindre la loi », prévient Martin, tout en remerciant ses créanciers pour leur « aide et tolérance ».
Il ne se fait pas d’illusion : face aux « dettes accumulées », « la reprise sera très lente ». Quand « un jour » la foule reviendra, « ce sera le stress », imagine-il. « Je ne me souviens plus de la dernière fois que c’était plein », dit-il, en montrant la piste, triste sans ses danseurs.
LQ/AFP