Parler et rechercher des activités qui font du bien au moral, voilà deux moyens de ne pas se laisser entraîner dans la sinistrose actuelle et risquer de développer un trouble mental.
La pandémie de Covid-19 dicte notre quotidien depuis plus de dix mois, la période est anxiogène et la sortie de crise ne semble pas encore être pour tout de suite. De quoi avoir le moral à zéro. Si pour les uns, ça ira mieux demain, pour d’autres, la situation est plus difficile à vivre. Vincent Navet, chargé de direction du Pôle Traitement de la Ligue luxembourgeoise d’hygiène mentale, décrypte les différents troubles pouvant apparaître et explique comment les prévenir et les guérir.
Une augmentation des demandes de soutien psychologique par rapport à une année sans Covid-19 a-t-elle réellement été constatée?
Vincent Navet : Actuellement, nous n’avons pas de données chiffrées. Aucune étude n’a été pour l’instant publiée sur l’impact avéré de la crise sur la santé mentale. Selon une étude récente de l’OMS, la pandémie a entraîné des perturbations et des interruptions des services de santé mentale essentiels dans 93 % des pays, alors que la demande de soins augmente.
Au niveau du terrain, nous remarquons depuis septembre que le temps d’attente pour avoir un premier rendez-vous dans notre service de consultation a augmenté d’un mois. On est passé de deux mois à trois mois d’attente. Les demandes pour notre service de jour ont augmenté. Le confinement a perturbé le déroulement des suivis. La pause de traitements due au confinement a décalé les rendez-vous et le déconfinement a eu lieu progressivement. Cela a eu un impact sur la file active. Nous suivons en moyenne 1.200 patients par an. En 2020, nous avons ouvert moins de dossiers que les années précédentes : 400 au lieu de 500.
Dans les hôpitaux, il y a une augmentation des demandes d’aide. Il y aurait aussi eu une augmentation des tentatives de suicide. Les suicides en tant que tels n’auraient pas augmenté, selon la ministre de la Santé.
Une personne sur quatre va être amenée à subir des souffrances psychiques au cours de sa vie. La situation actuelle peut-elle les déclencher?
Les troubles anxieux concernent en moyenne 15 % de la population, les troubles de l’humeur 10%, les dépendances autour de 6 à 7 %. Viennent les maladies plus lourdes et chroniques comme la schizophrénie ou la bipolarité. Nous ne savons pas si les effets de la crise vont augmenter ces pourcentages.
L’être humain a les compétences pour dépasser les difficultés psychiques. Nous dépasserons cette crise
Qu’est-ce qu’un trouble anxieux?
Il s’agit d’une manifestation de peur qui a un impact sur le quotidien, la vie professionnelle ou la vie sociale. Il en existe différents types comme le trouble panique, les phobies, les troubles obsessionnels compulsifs et l’état de stress post-traumatique, entre autres. Les dépressions et la bipolarité font partie des troubles de l’humeur.
Faut-il s’alerter après avoir fait une crise de panique?
Chaque personne peut être amenée à en faire une au cours de sa vie. Si elles deviennent régulières, il faut s’interroger sur leur cause et essayer de les traiter. Il n’y a pas de chemin précis qui mène au développement d’un trouble. Nous sommes comme un bocal qui se remplit. Chacun d’entre nous est différent. Notre génétique, notre organisme, notre éducation peuvent jouer et nous formater d’une certaine façon. À partir du moment où nous cumulons sur le long terme des stresseurs de vie et que nous ne parvenons plus à les dépasser, il se peut que l’eau du bocal déborde. C’est là que nous allons commencer à développer des difficultés. Cela dépend de quoi on est fait. Il n’y a pas de profil spécifique. Tout dépend de notre manière de faire face aux difficultés.
La crise qui perdure et la notion d’inconnu qu’elle véhicule peuvent nous faire ressentir un danger et une menace et éveiller des troubles anxieux. Les personnes qui ont plus de facilité à vivre au jour le jour seront peut-être moins impactées que celles qui ont l’habitude de planifier à long terme pour se rassurer. Cela ne veut pas dire que parce que c’est plus compliqué pour certains que pour d’autres, ces personnes vont forcément développer une maladie ou décompenser. La situation actuelle joue sur l’état de chacun. Mais je crois aux ressources et aux capacités de résilience dont nous disposons tous pour dépasser la lourdeur actuelle.
La manière dont nous percevons la crise dépend des besoins de chacun
Que peut-on mettre en place dans sa vie quotidienne pour éviter de développer un trouble mental ?
Les conséquences pratiques de la pandémie ne permettent pas de conserver toutes nos habitudes quotidiennes d’avant. Elles venaient nous aider à nous ressourcer, à trouver des échappatoires au quotidien et le structuraient. Conserver ces habitudes est important. Il faut autant que possible tenter d’y parvenir en structurant les journées entre la phase de travail et celle consacrée à la détente ou à l’activité physique. Le sport est très important pour la santé mentale. Une promenade ou de la course à pied peuvent suffire. Il faut essayer de trouver un remplacement qui soit ressourçant aux activités de loisirs qu’on ne peut plus pratiquer.
Il faut aussi éviter d’être en permanence rivé aux informations. Une partie de l’information est importante pour ne pas tomber dans la désinformation. Essayer de maintenir le plus possible du lien social par téléphone, par internet ou par visioconférence est très important surtout si on vit seul.
Quid des personnes que la situation d’isolement ne dérange pas ou ne change pas de leur vie d’avant la crise?
La manière dont nous percevons la crise dépend des besoins de chacun. Une personne qui a besoin de contacts, de sortir, de rencontrer plein de monde ne va pas se reconnaître dans la situation. Les personnes qui, au contraire, n’ont pas besoin de cela, qui sont plus ermites et se contentent de moins de contacts, ressentiront un impact moindre.
Quand le confinement a été instauré, nous avons été très étonnés des ressources de certains de nos patients et de la manière dont ils l’ont bien traversé. Pour une partie, il était plus facile de rester chez eux, puisque le lien et les rencontres sont une crainte. Être entre quatre murs donne un sentiment de sécurité. Le déconfinement a été plus compliqué pour ces personnes.
Quelqu’un qui a déjà eu un épisode dépressif va-t-il mieux savoir réagir face à un nouvel épisode que quelqu’un qui n’en a jamais eu et s’y trouve confronté en raison de la crise?
Il n’y a pas de règle prédéfinie. Une personne qui a déjà vécu un épisode dépressif a pour avantage d’avoir certains outils, être plus attentif aux symptômes précurseurs ou plus conscient de ce qui se passe en elle-même et ainsi prévenir l’épisode ou savoir quoi mettre en place pour se sentir mieux. D’un autre côté, cela peut aussi être l’inverse parce qu’on se souvient de la difficulté de s’en sortir lors du premier épisode. On peut peut-être retomber plus facilement.
L’idéal, quand on se sent moins bien, est d’en parler avec une personne de confiance comme son médecin généraliste, un proche, un ami. C’est important d’en parler à quelqu’un ou de se tourner vers les différentes institutions ou des services comme Sos Détresse ou d’autres hotlines.
À quel moment faut-il en parler? Quand on ressent quoi?
À partir du moment où on commence à se poser des questions sur son être et son bien-être, il est peut-être important de s’alerter et d’en parler pour trouver du soutien au bon moment et au bon endroit avant que la situation ne se dégrade. Parfois, il faut tomber pour se relever et tant qu’on n’est pas tombé, on ne peut pas se relever. On ne se rend pas compte qu’on ne va pas bien, on a des œillères. Et puis, certaines personnes attendent que quelqu’un fasse le pas pour oser parler de leur détresse.
Les programmes en ligne de méditation ou les applications peuvent-ils aider à prévenir des crises ou le développement de troubles anxieux ou dépressifs?
Tout ce qui peut nous faire du bien peut aider. Une formation à la pleine conscience a un impact positif sur notre quotidien, de même qu’une application comme Petit Bambou, les selfhelp books qui sont rédigés pour les personnes ayant ces troubles et qui peuvent être utilisés au cours de psychothérapies comme des manuels du patient, ou les mandalas à colorier. Ce sont des petits plus, mais ils ne peuvent être le seul remède quand on ne se sent pas bien. Le recours à un professionnel reste indispensable pour soigner la cause profonde du mal-être. Ces choses-là peuvent servir de compensations aux habitudes desquelles nous sommes privées par la crise. À condition d’aller chercher ces petits plus aux bons endroits comme des sites internet développés par des personnes concernées par les différents troubles pour éviter les charlatans. Des conseils et informations sont disponibles sur les sites prevention-psy.lu ou covid19-psy.lu.