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Steve Kayser : «Nous avons besoin des forains»


«L'annulation des marchés de Noël marque presque leur mise à mort», estime L'historien des forains luxembourgeois (Photo d'archives : Alain Rischard).

Amuseurs publics, vecteurs de traditions, créateurs de souvenirs : les forains ont plusieurs casquettes. Ils font avant tout partie d’un monde peu connu et menacé de disparition.

Près de la moitié des forains luxembourgeois et européens sont menacés de disparition, selon Steve Kayser, historien et spécialiste des arts forains. «L’annulation des marchés de Noël marque presque leur mise à mort», estime-t-il. Ce ne serait pourtant pas faute d’avoir alerté de la situation plus que précaire de certains. «Leurs dernières rentrées d’argent datent de novembre 2019 ou de janvier 2020. Les coûts fixes les tuent», explique l’historien. Soit les frais d’entretien des métiers, les assurances des véhicules, les frais de personnel, la location d’un hangar, entre autres.

Car derrière l’image du forain et de sa caravane se cache celle d’un chef d’une plus ou moins grande entreprise dont la survie dépend des kermesses. «La Schueberfouer est un élément vital dans la vie des forains luxembourgeois. Ils ont créé le marché de Noël à Luxembourg-Ville dans les années 1980 pour engranger des revenus supplémentaires avant les mois d’hiver», raconte Steve Kayser, très inquiet pour la santé financière et psychique de ses amis. Leur disparition est, selon lui, à considérer avec sérieux, non seulement parce qu’il s’agit d’existences, mais aussi parce que les forains font partie de la culture populaire européenne. S’ils disparaissent, c’est tout un patrimoine qui s’éteint avec eux.

«Ils font partie de notre culture»

Malgré une capacité d’adaptation qui a permis à certaines familles de se passer le témoin de génération en génération, l’historien n’est pas certain qu’ils parviendront à se relever de cette crise si elle perdure. «Les forains n’ont jamais eu peur de se remettre en question pour avancer. Ils ont toujours misé sur les dernières nouveautés en matière de technologies (le cinématographe a été montré dans les kermesses, par exemple) pour garantir la sécurité de leurs clients. Le premier commandement du forain est la sécurité. Il ne s’autorise aucune négligence d’une confiserie à un manège en passant par un jeu. Idem en matière d’écologie, note-t-il. Ils se donnent vraiment du mal pour travailler et on a l’impression qu’on oublie leur travail et leurs investissements, qu’on ne leur fait pas confiance.»

Leur sérieux permet le lâcher-prise aux amateurs de fêtes foraines. «Nous avons besoin des forains. Ils ont marqué notre enfance, ils font partie de nos loisirs, ils créent des liens entre les générations, estime le spécialiste des arts forains. Ils nous permettent d’être différents l’espace d’une soirée, de jouer avec nos peurs, avec nos limites. Jouer est vital et le forain est celui qui mène ce jeu. Ces principes resteront quoi qu’il arrive.»

Maître du jeu, le forain permet aux gens de se rencontrer, de créer du lien au sein de collectivités. Le forain mène la danse et tire les ficelles comme personne. Ce savoir-faire irremplaçable devrait également être reconnu. «Ils ont un bagout, un caractère qui attire. Ils ne sont pas lisses… décrit le passionné. Ils font partie de notre culture au même titre qu’une société de musique, une salle de spectacles ou un cinéma. Pourtant, la culture les oublie.» La reconnaissance des arts forains comme patrimoine immatériel de l’Unesco pourrait les préserver de la faillite en instituant les kermesses. Sauf en cas de pandémie.

Une solution parmi d’autres. Le fait est qu’un sauvetage ne pourra pas réussir sans l’aide de la collectivité et de l’État, sans une meilleure connaissance des forains eux-mêmes. Nimbé de mystère, leur monde attire comme il peut refroidir. Ou paraître obsolète, désuet. L’homme moderne est-il encore sensible à la poésie d’une kermesse? «Vous et moi ressentons cette poésie, parce que les générations avant nous nous l’ont transmise, indique Steve Kayser. Les jeunes sont habitués à des divertissements plus spectaculaires. Le stand de tir classique va souffrir s’il ne se réinvente pas comme les cirques ont dû le faire.» La tendance vintage du moment pourrait apporter une touche de modernité à ces charmantes baraques. «Il faut donner l’envie et le goût aux gens pour les arts forains», note l’historien. Cela passe par l’amusement, mais également «par nos générations qui doivent transmettre ces plaisirs simples à des générations sursaturées de tout».

Cette remise en question concerne les forains, mais aussi le gouvernement et les instances culturelles. «La culture ne peut être interrompue. Les loisirs en font partie, conclut l’historien. Une culture comme les arts forains mérite autant d’être sauvée qu’une école, une entreprise ou un commerce. Elle mérite qu’on se pose la question de sa conservation.» Les forains doivent se prendre en main, mais d’autres ne doivent pas oublier de la leur tendre.

Sophie Kieffer

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