A Sloviansk, ville de l’est de l’Ukraine à quelques dizaines de kilomètres du front avec les séparatistes prorusses, les promesses de paix du président Volodymyr Zelensky, élu il y a un an et demi, ne convainquent plus.
Ici, du côté ukrainien de cette guerre en grande partie gelée depuis 2015, les habitants de cette région majoritairement russophone s’apprêtent à voter dimanche pour des formations politiques prorusses, à l’occasion des élections locales.
« Les gens sont déçus », résume auprès de l’AFP Vira Iourik, une retraitée de 58 ans, en parcourant les rues de la ville.
Ancien comédien novice en politique, Volodymyr Zelensky avait largement remporté la présidentielle en 2019 en promettant notamment de mettre fin à la guerre avec les séparatistes soutenus par Moscou, qui a fait plus de 13.000 morts et près de 1,5 million de déplacés depuis son déclenchement en 2014.
Si une trêve est globalement respectée dans l’Est depuis bientôt trois mois -un record- aucun retour à la normale ne se profile dans ces territoires industriels dévastés par la guerre, et des progrès palpables envers un règlement politique du conflit se font encore attendre.
Pire, la pandémie du nouveau coronavirus et sa gestion chaotique par le gouvernement ont encore exacerbé la méfiance, voire l’hostilité des locaux vis-à-vis des autorités centrales.
« Tous ceux qui promettaient l’Union européenne ici, Zelensky par exemple, sont tous des menteurs », assène Volodymyr, 59 ans, ex-officier de l’armée soviétique à la retraite.
Jusqu’à 60% des électeurs des régions orientales de Donetsk et de Lougansk, dont une partie échappe au contrôle de Kiev, se disent prêts à voter pour un parti prorusse dimanche, selon un sondage publié en septembre. Seul 10% y sont favorables au parti Serviteur du peuple de M. Zelensky.
Aux législatives de 2019, les deux principales formations prorusses avaient obtenu au total 48% des suffrages dans la région de Donetsk, contre 27% pour le parti présidentiel.
Le parti prorusse le plus populaire est la Plateforme d’opposition-Pour la vie, qui compte parmi ses dirigeants le député ukrainien Viktor Medvedtchouk, un proche du président russe Vladimir Poutine, qui le reçoit régulièrement au Kremlin et est le parrain d’une de ses filles.
Nostalgie de l’URSS
Ces intentions de vote dans l’Est dressent un constat saisissant de la profonde fracture avec le Centre et l’Ouest du pays, où les prorusses sont honnis, Kiev et les Occidentaux considérant Moscou comme le parrain politique, militaire et financier des séparatistes.
Comme beaucoup d’habitants de Sloviansk, Vira Iourik n’y voit aucun problème: « On parle russe ici, on ne comprend pas l’ukrainien, on est frontaliers de la Russie et la Russie nous est proche », argue cette brune aux cheveux courts. « C’est absurde, nous sommes des frères slaves et on s’entretue ».
Ville de 100.000 habitants, Sloviansk a été l’un des points chauds du conflit après avoir été investie par les séparatistes en avril 2014, finalement délogés par l’armée ukrainienne après trois mois de combats qui y ont fait des centaines de victimes.
Aujourd’hui, sur six candidats à la mairie de Sloviansk, quatre représentent des mouvements qui prônent un rapprochement avec Moscou. Parmi eux, Nelia Chtepa, qui était maire en 2014 et a passé plusieurs années en prison pour avoir soutenu les séparatistes.
Hantée par la mémoire de l’époque où la ville vivait « sous les bombardements », « sans électricité, sans nourriture, sans argent », Mme Iourik espère elle que les prorusses réussiront à négocier un accord de paix avec Moscou et à relancer l’industrie de la région.
Rien de surprenant pour l’analyste politique Volodymyr Fesenko, basé à Kiev: « Dans cette région, les sentiments prorusses ont existé, existent et existeront toujours ». Et le soutien au président et à son parti baisse dans tout le pays, souligne-t-il auprès de l’AFP.
En votant pour Zelensky, « les gens espéraient la fin de la guerre », mais leurs « attentes exagérées ont disparu, alors que la pandémie et la crise sont arrivés », explique l’analyste.
Pour Roman Balaboïko, ancien combattant contre les séparatistes et rare militant pro-ukrainien dans la région, c’est la nostalgie de l’URSS qui nourrit les sentiments pro-Moscou dans l’est de l’Ukraine. « Ces gens se considèrent toujours comme Soviétiques » et « les forces prorusses savent toucher ce nerf », relève cet homme de 33 ans.
AFP