Avec Freies Land, le réalisateur allemand Christian Alvart transpose dans l’atmosphère poisseuse et sordide de l’ex-RDA un film remarqué, La isla minima qui, en 2014, avait remporté dix Goyas et célébré le renouveau du thriller espagnol.
L’un vient de l’Ouest, avec ses principes et ses méthodes d’investigation modernes, l’autre joue à domicile sur ses terres de l’Est, flic à l’ancienne qui ne s’en laisse pas conter : Freies Land suit deux enquêteurs de la police criminelle allemande (incarnés à l’écran par Trystan Pütter et Felix Kramer) sur la trace d’adolescentes disparues. De secrets en mystères, les policiers vont tirer les fils d’une affaire qui va les dépasser…
Ce film allemand fait le pari de sortir mercredi dans des salles qui désespèrent de voir revenir les foules et sont en mal de nouveautés, notamment américaines. Il s’agit d’un remake revendiqué de La isla minima (2014) qui a marqué en récoltant pas moins de dix Goyas, les prix les plus prestigieux du cinéma espagnol. Alberto Rodriguez, récompensé du prix du meilleur réalisateur, plongeait le spectateur dans l’Espagne rurale des années 1980 à l’occasion de la disparition de deux sœurs au cours d’une fête de village. Le film avait notamment attiré un peu plus de 320 000 spectateurs en France. L’Allemand Christian Alvart, 46 ans, né à l’Ouest et parti plusieurs années tourner des films de genre à Hollywood, choisit de transposer l’intrigue dans un village reculé d’Allemagne de l’Est, après la chute du Mur en 1989 mais avant la réunification du pays – une période «incertaine» et «peu décrite au cinéma», souligne-t-il.
Cette période a suscité beaucoup d’espoirs
Dans ce monde où l’ecstasy commence à circuler sous le manteau et les jeunes rêvent de fuir une région sans avenir, une marque de pellicule photographique rare à l’Est ou encore un modèle de voiture produite à l’Ouest peuvent fournir de précieux indices. «Je suis très intéressé par ce moment où les deux monnaies allemandes étaient encore en vigueur, où l’Est pensait que tout serait mieux à l’Ouest (…). Cette période a suscité beaucoup d’espoirs. Mais aussi beaucoup de désillusions», poursuit Christian Alvart, dont le film s’adresse à un public fan d’angoisse et d’énigme policière.
Gregory Cimatti
Freies Land, de Christian Alvart.
Deux amis, un flic
Dans l’univers du polar, il y a une recette qui fonctionne toujours : un meurtre (ou plusieurs), sordide(s), une atmosphère vénéneuse, poisseuse même, et, au milieu du trouble, deux flics que tout oppose. Sans oublier, pour ficeler l’ensemble, le poids de l’Histoire.
C’est le cas de ce Freies Land, situé dans une Allemagne de l’Ouest à l’avenir en pointillé et, par rebond, de La isla minima, qui raconte l’Espagne rurale des années 1980, celle qui cache les cadavres enfouis du franquisme, remontant alors à la surface. Là, dans les deux films, deux policiers aux méthodes contraires : l’un violent, l’autre réfléchi (pour ne pas dire évanescent). Des détectives antagonistes devant, en somme, dépasser ce qui les sépare pour mieux affronter les démons du passé. Un canevas qui ramène à deux autres œuvres, majeures, de ces dernières années : Memories of Murder, chef-d’œuvre dérangeant signé Bong Joon-ho (2017), dont la force tient aussi à l’ambiance et à son duo.
Un inspecteur de la ville, l’autre de province et, derrière eux, le décor d’une Corée encore sous l’emprise de la dictature militaire. Même réflexe pour la série True Detective, déclinée en trois saisons, dont la première aura attisé de nombreuses attentes, déçues. La raison ? L’impeccable duo Matthew McConaughey-Woody Harrelson n’a jamais trouvé d’égal, leurs successeurs n’étant pas de la même trempe (Colin Farrell, Vince Vaughn, Mahershala Ali, Stephen Dorff). Preuve que pour réussir son coup, il ne faut pas manquer son casting. Sinon tout s’effiloche, comme une affaire bâclée.
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