Commandées à des auteurs luxembourgeois par les Théâtres de la Ville de Luxembourg et le Kinneksbond, huit courtes pièces autour de la crise verront le jour à partir de la rentrée culturelle. Elles sont réalisées dans le cadre d’un appel à projets qui a pour but de soutenir la création nationale.
À l’heure du retour, lent mais progressif, vers les salles de spectacles et autres lieux culturels, les Théâtres de la Ville de Luxembourg et le Kinneksbond soutiennent ensemble la création luxembourgeoise. Les deux entités culturelles ont en effet lancé, le 10 juin, deux appels à projets avec pour but commun de mettre en avant la scène du Grand-Duché. D’une part, la joie du déconfinement : la création de deux performances (théâtre, danse, musique ou cirque) urbaines, c’est-à-dire hors des lieux culturels. Les artistes, collectifs et compagnies de la scène luxembourgeoise peuvent encore remettre leurs dossiers de candidature jusqu’au 3 juillet, date après laquelle les dossiers seront étudiés par un jury international qui en retiendra deux. Ceux-ci donneront lieu à des projets créés après la rentrée culturelle, l’un à Luxembourg, l’autre à Mamer. D’autre part, c’est le théâtre luxembourgeois qui est célébré en grande pompe. Huit auteur(e)s, pas tous issus du théâtre, ont reçu la commande d’une pièce pour laquelle chacun sera associé à un metteur en scène. «Ce n’est pas un concours», précise Ian De Toffoli, l’un des auteurs choisis par les Théâtres de la Ville et le Kinneksbond, «c’est un vrai travail d’équipe, de rapprochement et de solidarité entre artistes qui apprennent à se connaître». «Ils ont choisi une poignée d’auteurs émergents : des plus jeunes, des moins jeunes, et aussi des auteurs étrangers, comme Lola Molina, qui est française.» Quatre hommes (Ian De Toffoli, Romain Butti, Tullio Forgiarini et Guy Helminger) et quatre femmes (Nathalie Ronvaux, Lola Molina, Anna Leader et Elisabet Johannesdottir) qui écriront des pièces allant d’un à quatre personnages, en langue française (quatre), allemande (deux), luxembourgeoise (une) et anglaise (une), reflétant ainsi la diversité linguistique du pays.
La commande d’Ian De Toffoli concerne un monologue écrit en français pour un personnage féminin. L’auteur parle d’un «challenge amusant» : «Je me demande comment ça a été décidé… Il y a deux ans, j’avais écrit Tiamat, au Théâtre du Centaure, qui était un monologue, mais pour un homme. Ça me rend un peu nerveux et j’espère être à la hauteur. J’ai toujours trouvé ça très intéressant, dans l’histoire de la littérature, les hommes qui écrivent du point de vue féminin et inversement.» «Je ne suis pas étranger aux commandes, j’y éprouve même un certain plaisir», ajoute-t-il.
Respecter trois thématiques
Les textes, qui dureront de 20 à 30 minutes, devront respecter – de même que les projets urbains – trois thématiques : discours sur l’état d’urgence; hymne aux oublié(e)s de la crise; inventaire des belles choses. «J’aime beaucoup le troisième thème, dit Ian De Toffoli en riant, ça me donne envie de faire une liste de choses que j’aime.» De poétique au politique, il n’y a qu’un pas? Pour Tullio Forgiarini, qui précise que «ce qui est actuel est toujours politique, à condition de savoir ce que l’on appelle politique», «le théâtre doit toujours être actuel, sinon il n’a aucun sens. Shakespeare, Racine, ça a toujours du sens aujourd’hui. Mais cela ne doit pas être non plus du journalisme ou du documentaire.» Une pensée secondée par son collègue : «Tout le théâtre contemporain est extrêmement politique. Même quand on raconte une histoire d’amour, on fait un portrait de la société. Dans ce sens, ça m’arrange très bien.»
La pièce de Tullio Forgiarini, qui sera «absurde, surréelle, avec de l’humour noir» («le genre de choses que je fais normalement», sourit l’écrivain plutôt connu pour ses romans noirs), devrait, de son propre aveu, être mise en scène par Aude-Laurence Biver. D’autres auteurs, comme Ian De Toffoli, ignorent encore à qui ils seront associés. «Je serai surpris, vraisemblablement», glisse ce dernier. Dans tous les cas, la mise en scène devra être réalisée dans le respect des règles sanitaires, et si cela risque, peut-être, de coincer, Tullio Forgiarini ne s’en fait pas pour autant. «Ce n’est pas un handicap. Les personnages ne pourront pas s’embrasser, par exemple, mais on pourrait jouer là-dessus. Quand j’écris des polars, il y a des codes qu’on peut toujours casser. Ici, évidemment, on ne pourra pas casser les règles sanitaires mais on pourrait les détourner : imaginons, par exemple, que les comédiens s’avancent vers le public et qu’ils s’arrêtent juste à temps, ou qu’on ait Ponce Pilate, sur scène, qui se lave tout le temps les mains. On peut toujours jouer avec les règles. Bien sûr, il faudra voir ce que la metteuse en scène en pen-se. La taille de la scène jouera aussi un rôle.»
«Il est indéniable que cette crise aura une grande influence sur notre travail»
Ni Ian De Toffoli ni Tullio Forgiarini n’aiment les «choses frontales». Les journaux de confinement ? Très peu pour eux (et on ne peut que leur donner raison) ! Mais tout, des thèmes à respecter jusqu’aux dispositions scéniques, trouve un inévitable écho dans la pandémie, et il faudra s’y plier. Pour Ian De Toffoli, «il est indéniable que cette crise aura une grande influence sur notre travail». Il poursuit : «On demande sans cesse aux artistes de se réinventer, ce qui est une connerie. Les artistes ne font que ça : se réinventer pour dire les mutations du monde. Mais c’est sûr qu’on aura changé après ça. Nous serons peut-être plus à l’affût, plus lucides.» La réponse sera à trouver lors de la création des pièces, entre septembre et décembre, aux Théâtres de la Ville et au Kinneksbond. Et à découvrir avec peut-être, donc, plus de lucidité.
Valentin Maniglia