L’artiste français publie son premier album depuis 2014 et L’Aventura. Il essaie d’y rendre funky les tâches domestiques. C’est à la fois tranquille et dansant, classique et à contrepied.
Chez Sébastien Tellier, il n’y a que la barbe qui ne change pas. Immense, touffue, virant désormais au gris, surplombée par des yeux tantôt doux, tantôt fous. Chez lui, les deux humeurs se tutoient dans un déséquilibre permanent et, dans une étincelle, elles accouchent d’un homme multiple se créant différentes existences, sûrement parce que la vie est trop courte…
C’est en substance ce qu’il racontait au Quotidien avant un passage encore mémorable par l’Atelier. À l’époque, cet électron libre défendait My God Is Blue (2012), dans lequel il s’imposait en gourou appréciant la toge ample, sorte de croisement mystique entre Salvador Dali et Yves Klein.
Un personnage haut en couleur aujourd’hui rangé parmi la belle collection schizophrénique du musicien, reconnaissable à travers une discographie rebelle : on l’a notamment connu en pleine campagne politique vouée à l’échec (Politics, 2004), en pervers romantique, passionné de femmes, de poitrines et de strings (Sexuality, 2008), et encore en chroniqueur des joies enfantines, réinventant son enfance au Brésil, mémorable introspection sous le soleil et sur un air de carioca (L’Aventura, 2014). Et depuis, plus rien, en tout cas pas en son nom.
Tout en électronique et vocodeur
Car en six ans, l’esthète iconoclaste n’a pas chômé, entre les bandes originales du film Marie et les naufragés (2016) et de la série A Girl Is a Gun (2017), sans oublier l’écriture d’un album réalisé en tandem avec la strip-teaseuse Dita Von Teese (2018). Mais il a aussi, et surtout, fondé une famille, pour le coup au centre de ses réflexions sur son dernier disque, Domesticated.
Des gants multicolores en caoutchouc posés sur les touches de piano qui ornent sa chemise : tout est dit sur la pochette! Ici, on célèbre les corvées et les contraintes du quotidien, celles qu’impose une vie avec femme et enfants, et qui, au passage, font valser les clichés de la rock star. D’ailleurs, quand Sébastien Tellier fait de l’air-guitare, c’est aujourd’hui armé d’un balai…
Mais celui qui sait faire le fanfaron sait également enrober ses élans décalés d’une musique sexy, ronde, envoûtante. Il arrive surtout à tirer du beau de la banalité, ou, comme c’est le cas ici, faire quelque chose de noble avec la platitude d’une cuisine et d’un aspirateur. Rendre «funky» les tâches domestiques, d’ailleurs rarement célébrées dans la pop culture, voilà à quoi s’attaque le phénomène dans ce nouvel album, tout en électronique et en vocodeur, sur lequel il évoque aussi son mariage ou son amour pour l’Italie.
En phase avec le confinement
Des choix musicaux qui, en outre, rappellent les envolées de Sexuality, tout en restant frais et modernes. C’est à la fois tranquille et dansant, classique et à contrepied. Le plus déroutant dans l’histoire reste que la sortie de cette septième production, initialement prévue en avril, a été repoussée en raison de la crise sanitaire.
Au final, comme un symbole, elle prend encore plus de sens après de deux mois durant lesquels le monde entier s’est retrouvé coincé entre quatre murs, comme Sébastien Tellier dans son cocon familial. D’ailleurs, Internet regorge aujourd’hui de vidéos d’hommes faisant la vaisselle, et de bien d’autres performances saisies en pleine intimité.
Alors, Domesticated, album du confinement? Pourquoi pas, à condition de respecter ce qu’il suggère en arrière-plan : que la poésie, comme le «groove», se cache dans les détails du quotidien, même les plus insignifiants. Il faut juste vouloir les regarder et s’en saisir.
Grégory Cimatti
Sébastien Tellier, Domesticated.
Label Record Makers. Sorti le 29 mai. Genre electro-pop.