Le problème de l’indemnisation du chômage des frontaliers, globalement reporté sur les pays voisins, va être encore plus épineux avec la crise. Le tour de la situation en quatre points, avec les services de l’Unédic français.
Quelle est la norme ?
Dans l’Union Européenne, le chômage des frontaliers est globalement pris en charge par l’état de résidence, et non celui de travail. « Les règles d’indemnisation des salariés mobiles sont définies par un règlement communautaire en date de 2004 », nous explique une responsable de l’Assurance chômage française (Unédic). Selon ce règlement, concernant l’emploi salarié, « l’institution du lieu de résidence » (l’Unedic française dans notre cas) doit être remboursée de la « totalité du montant des prestations servies pendant les trois premiers mois » de l’indemnisation, par l’institution du lieu de travail.
En clair, le Luxembourg rembourse seulement trois mois de chômage (aux conditions françaises) à la France, sur des dossiers qui peuvent s’étaler sur deux ans. Alors que les frontaliers ont cotisé de manière totale au Grand-Duché.
Quelle conséquence ?
Pour l’état français, ce mode de calcul est un gouffre chaque année, principalement vis-à-vis de deux états à fort potentiel frontalier : la Suisse en tête, puis le Luxembourg (cf graphique).
« La réglementation en vigueur est défavorable à la France, explique notre interlocutrice. L’écart entre le versement d’Assurance chômage et les remboursements des états voisins se creuse d’environ 50 millions d’euros par an : en 2018, la France a versé 922 millions d’euros d’indemnisation chômage aux demandeurs d’emploi frontaliers alors qu’elle a reçu, avec les règles actuelles en vigueur, 151 millions d’euros de remboursement de la part des pays voisins ». Soit un coût net de 771 millions d’euros pour l’Unédic, dont 107,9 millions d’euros vis-à-vis du Luxembourg.
Notons que les chiffres présentés correspondent à des périodes d’embellies économiques. Les craintes sont grandes de voir la facture s’allongée avec la crise. À plus forte raison, quand on analyse dans le détail les profils des frontaliers : « Du fait du niveau des salaires qui sont élevés, et de la nature des contrats perdus, plus fréquemment des CDI que les non-frontaliers, ces personnes bénéficient souvent d’allocations élevées et de droits longs. »
La situation a dérapé ces vingt dernières années : « le nombre total de travailleurs frontaliers a presque doublé en 20 ans (NDLR : sur toutes les frontières françaises), le nombre d’allocataires a lui aussi progressé rapidement sur cette période. »
Quelle suite ?
Ce règlement, défavorable à la majorité des états membres, est en cours de révision depuis 2016. Chaque état tire la couverture à lui, y compris le Luxembourg à l’époque, via l’actuel commissaire européen à l’emploi Nicolas Schmit, alors ministre luxembourgeois, qui voyait dans ce changement de réglementation une situation peu confortable pour les frontaliers, désormais obligés de traiter avec des Adem luxembourgeoises. Et surtout, une situation peu confortable pour les finances luxembourgeoises : les frontaliers représentent 46% de la main d’oeuvre du pays, dont la moitié sont d’ailleurs installés en France. Il aurait fallu régler toute la note, et multiplier les agences (et les agents publics !) de l’Adem pour répondre aux nouvelles demandes…
« Un projet de révision a été proposé par la Commission Européenne en 2019, explique notre interlocutrice. Ce projet (NDLR : qui prévoyait une dérogation de plusieurs années pour le Grand-Duché) a été rejeté par le Parlement le 18 avril 2019, qui a décidé de le reporter à la prochaine législature. Tant que la Commission européenne ne retire pas le texte, les discussions peuvent se poursuivre. Le nouveau parlement, qui a été élu le 26 mai 2019, peut donc décider de rouvrir le dossier. » Oui mais le mal est fait : la crise qui arrive est un orage sans commune mesure avec les problèmes économiques précédents.
Ce que l’on peut imaginer : l’état luxembourgeois détient éventuellement une carte à abattre face à l’état français, dans le cadre de négociations diverses qui pourraient être menées ces prochains mois (par exemple, obtenir plus de jours de télétravail pour les frontaliers sans plafond fiscal, contre une éventuelle prise en charge d’un pourcentage de la note sur ceux qui seront au chômage).
Quid du chômage partielle ?
À la lecture du règlement communautaire, la note du chômage partiel des frontaliers reste en revanche à la charge du Grand-Duché : « La personne en chômage partiel ou intermittent qui, au cours de sa dernière activité salariée ou non salariée, résidait dans un État membre autre que l’État membre compétent (NDLR : comprendre « état du lieu de travail ») se met à la disposition de son employeur ou des services de l’emploi de l’État membre compétent (NDLR : de travail…). Elle bénéficie des prestations selon la législation de l’État membre compétent, comme si elle résidait dans cet État membre. Ces prestations sont servies par l’institution de l’État membre compétent. »
Hubert Gamelon