Angela Merkel a pris un gros risque politique dans son pays en acceptant il y a une semaine à la surprise générale l’idée, taboue jusqu’ici, de dette mutualisée en Europe pour relancer l’économie face au coronavirus.
Signe des évolutions tectoniques provoquées dans les esprits par la pandémie, la chancelière allemande semble bien, à tout le moins chez elle, en passe de gagner le pari: son parti conservateur la soutient et une majorité des Allemands approuvent cette initiative, lancée avec le président français Emmanuel Macron et impensable il y a encore quelques années.
Même si la proposition de Paris et Berlin n’aboutit pas au final en raison de l’opposition de plusieurs pays européens, menés par l’Autriche et les Pays-Bas, les limites du débat en Allemagne autour de la solidarité financière européenne ont été repoussées.
« Je n’ai pas le moindre doute quant au fait qu’il y a au Parlement un large soutien pour cette proposition » en Allemagne, déclare dans une interview à l’AFP le président de la Chambre des députés allemande, Wolfgang Schäuble, poids lourd politique du parti démocrate-chrétien CDU de la chancelière allemande.
Proposition « importante »
Wolfgang Schäuble est une voix qui compte en Allemagne. Pro-européen de conviction depuis des décennies, l’ancien ministre des Finances allemand n’en incarne pas moins la rigueur voire l’orthodoxie budgétaire dans son pays.
Lorsqu’il était aux Finances au plus fort de la crise de la zone euro, il s’est attiré les foudres de nombreux pays pour ses fortes réticences à sauver la Grèce de la banqueroute. Et n’est jamais passé pour un grand partisan des dettes en commun.
Aujourd’hui, face au nouveau coronavirus, il applaudit une « proposition nécessaire et importante dans la période que nous traversons ». « Elle part du principe que l’Europe doit utiliser cette crise pour se renforcer », dit Wolfgang Schäuble, qui a signé mardi une déclaration commune en ce sens avec son homologue français Richard Ferrand.
Lundi, c’est toute l’instance dirigeante du parti CDU qui a endossé l’idée franco-allemande, visant à ce que l’Union européenne emprunte 500 milliards d’euros pour les reverser sous forme de subventions aux pays les plus touchés par l’impact de l’épidémie, comme l’Italie ou l’Espagne notamment, sans que ces derniers n’aient à rembourser individuellement.
« L’Allemagne n’ira bien que si l’Europe va bien », a martelé à cette occasion la chancelière, selon un participant à la réunion à huis clos.
Présidence allemande de l’UE
Les voix ne sont pas unanimes au sein du mouvement conservateur. Son aile la plus à droite, baptisée « Union des valeurs », a exprimé avec force son mécontentement.
L’un de ses dirigeants, Alexander Mitsch, a dénoncé « un pas supplémentaire vers la création d’une Union (européenne) de dettes et d’un Etat centralisé ». Il a appelé les parlementaires allemands et européens à s’y opposer.
Ces critiques, qui viennent aussi de l’extrême droite et du petit libéral FDP en Allemagne, restent toutefois minoritaires.
Quelque 51% des Allemands sont favorables au plan de relance de la chancelière et du président français, qu’ils vont pourtant financer à eux seuls à hauteur de 27%, selon un sondage de l’institut Civey pour l’hebdomadaire Der Spiegel. Environ 34% y sont a contrario opposés.
Que s’est-il passé? Bénéficiant d’une forte popularité pour sa gestion saluée de la pandémie dans son pays, Angela Merkel, qui politiquement n’a plus beaucoup à perdre à mesure que la fin de sa carrière politique fin 2021 se rapproche, a pesé de tout son poids.
« Elle a été sensible à réaffirmer l’engagement européen de l’Allemagne face aux critiques assez dures de l’Italie ou de l’Espagne » sur le manque de solidarité européenne au pic de la pandémie de Covid-19, estime un membre de l’entourage d’Emmanuel Macron.
« Elle a aussi en tête que l’Allemagne prend la présidence de l’UE en juillet. Elle veut laisser une trace », décrypte-t-il.
AFP