Avec près d’une vingtaine de films sélectionnés et la présence du cinéaste Kleber Mendonça Filho au sein du jury, la 70e Berlinale s’impose comme une arène pour des artistes brésiliens en difficulté, mais combatifs, sous l’ère Bolsonaro.
« Beaucoup de réalisateurs se sont dépêchés de finir leur film cette année », par crainte de baisse des subventions, justifie le nouveau directeur artistique du festival, Carlo Chatrian, réfutant l’idée d’un choix politique ou d’un pied de nez au gouvernement en place. « Quand nous effectuons une sélection, nous ne regardons pas trop la nationalité. Ce n’est pas la priorité. Le premier critère est d’être surpris par le film », insiste-t-il.
Il n’empêche : ce n’est pas une première pour la Berlinale qui avait accueilli l’an dernier, sous la direction de son directeur d’alors, Dieter Kosslick, le film Marighella, décrit par son réalisateur comme « un des premiers produits culturels ouvertement à l’encontre de ce que représente (le président) Bolsonaro ». En 2017, des cinéastes brésiliens avaient également publié une lettre pour dénoncer le gouvernement de Michel Temer, arrivé au pouvoir après la destitution de Dilma Roussef, et sa politique menaçant la culture. Impopulaire et accusé de corruption, il a depuis été remplacé par l’ancien parachutiste d’extrême droite Jair Bolsonaro, qui, dès son entrée en janvier 2019, a supprimé le ministère de la Culture et coupe depuis à tour de bras les subventions dans le secteur.
« C’est le meilleur moment que le cinéma brésilien ait jamais eu et c’est exactement le moment où l’industrie du film locale est démantelée presque chaque jour », a déclaré, las, Kleber Mendonça Filho, le réalisateur primé à Cannes de Bacurau, au premier jour du festival. En lice pour l’Ours d’or, les réalisateurs de Tous les morts, Marco Dutra et Caetano Gotardo, se savent chanceux : l’aide publique accordée à leur projet, qui a démarré en 2012, n’a pas été remise en cause. Mais « l’incertitude » est un paramètre avec lequel il faut désormais composer, confient-ils.
Grande fresque se déroulant après l’abolition de l’esclavage au XIXe siècle, Tous les morts se penche sur le destin d’une grande famille de Sao Paulo ruinée et expropriée et d’anciens esclaves tentant de défendre leurs traditions et de jouir de leur nouvelle liberté. Un film qui met à jour « le racisme » à l’œuvre au Brésil, souligne un des réalisateurs, avec notamment une scène où une jeune femme refuse les avances d’un prétendant métis, pourtant du même milieu social qu’elle, et avoue lui préférer un ouvrier blanc.
« Malgré de nombreuses théories encore très respectées prétendant que le Brésil s’est bâti sur le mélange des identités, la réalité est différente: c’est un pays très raciste », affirme Marco Dutra. Fiction sur des immigrants nigérians (Cidade Passaro), sur l’Amazonie (Luz nos trópicos, O reflexo do lago), sur une relation gay dans le Midwest brésilien (Vent sec), les propositions ne manquent pas.
« Ces dernières années, la diversité du cinéma brésilien s’est étoffée, donnant naissance à de nouveaux points de vue et à de meilleurs films. Ce mouvement ne va pas s’arrêter à cause de nouvelles politiques », affirme le réalisateur Marco Dutra, pour qui l’important est de « continuer à filmer. S’il le faut, aux téléphones portables ». Une position que partage largement Kleber Mendonça Filho : « beaucoup de jeunes Brésiliens m’interrogent. Je pense que c’est un grand moment pour faire des films, en particulier pour les jeunes ambitionnant de faire du cinéma. Nous avons la technologie pour cela ».
LQ/AFP