Le pays de Galles est plus habitué à faire les gros titres pour ses fermetures d’usines que ses prouesses high-tech. Pourtant à Newport, ancien bastion de l’industrie charbonnière, une poignée de fabricants de semi-conducteurs se rêve en nouvelle Silicon Valley.
« Nous voulons devenir un centre technologique comme » en Californie, et attirer « la version 2030 de Google ou Facebook », explique Chris Meadows, directeur des systèmes pour les entreprises chez IQE, depuis ses locaux d’un blanc clinique où sont alignées des machines.
IQE fait partie d’un petit groupe de sociétés locales, dont SPTS ou Newport Wafer Fab, qui se sont associées à des universités et un centre d’innovation pour former une « communauté » ou « cluster », afin de valoriser leur spécialité: les semi-conducteurs composites.
« Nous nous sommes rendus compte que nos clients nous utilisaient à différentes étapes de leur chaîne d’approvisionnement », et qu’il y avait plus à gagner à collaborer qu’à rivaliser, poursuit M. Meadows.
Les semi-conducteurs composites sont des composés chimiques comme le carbure de silicium ou l’arséniure de gallium.
Plus chers et complexes que les puces électroniques en silicone, ils offrent des propriétés supérieures en termes de puissance, résistance à la chaleur et aux chocs, ou captage de la lumière, plus adaptées aux véhicules électriques, aux appareils laser ou à la téléphonie 5G.
« Comme en cuisine »
Dans les salles stériles d’IQE, les machines gravent en silence des disques (« wafers »). De rares techniciens en combinaison et masque passent de temps à vérifier des écrans.
« C’est là que la magie opère. C’est comme en cuisine: tout le monde a accès à un four et à des recettes mais tout le monde n’est pas un chef cinq étoiles. Tout notre savoir-faire, notre avance, vient de notre manière particulière de travailler et assembler ces ‘wafers’. C’est notre recette secrète », fait valoir M. Meadows.
En collaborant, les entreprises du « cluster » peuvent offrir des produits « sur mesure » pour les puces électroniques qui entreront dans les appareils de clients comme Philips ou Raytheon, et garder ainsi la main sur la chaîne de fabrication.
« L’Europe et les Etats-Unis se sont presque entièrement retirés de la production » des semi-conducteurs, au profit de la Chine principalement, et « tout le monde essaie à présent de la faire revenir », poursuit Meadows.
C’est que ces emplois, jadis peu qualifiés, se sont transformés, à mesure que le secteur s’automatisait, en postes très qualifiés et bien payés, capables d’irriguer l’économie de la région.
Quelque 1 400 personnes travaillent pour le cluster, qui vise 5.000 employés d’ici à 2023, grâce à la croissance d’un marché qui pesait l’an dernier 77 milliards de dollars (70 milliards d’euros), dominé par les Etats-Unis et la Chine, et devrait passer à 300 milliards d’ici trois ans.
La prochaine étape pour Newport sera de « produire des composants qui entrent dans les circuits intégrés. C’est de là qu’une grande part des emplois va venir. On est en discussion avec deux entreprises nord-américaines et une chinoise, qui veulent s’installer ici pour assembler des produits utilisant nos puces électroniques », fait valoir M. Meadows.
« Inspirer » d’autres secteurs
Au sein du cluster, les fabricants délèguent la recherche et l’innovation aux centres universitaires de Cardiff ou Swansea. Quant aux prototypes, ils sont largement pris en charge par des organismes gouvernementaux qui investissent dans les technologies à fort potentiel, comme les thérapies géniques: les Catapults.
« Nous avons un projet à 20 millions de livres (23,5 millions d’euros, NDLR) pour créer une chaine d’approvisionnement de carbure de silicium pour les voitures de sport McLaren », raconte Andy Sellars, directeur du développement stratégique du Catapult de Newport.
« Quelque 300 millions de livres d’investissements (352 millions d’euros, NDLR) ont été rassemblés dans la région pour développer la prochaine génération de semi-conducteurs », ajoute-t-il, depuis ses bureaux ultra-design qui occupent une partie du gigantesque bâtiment d’IQE.
Le cluster est toutefois loin de remplacer les milliers d’emplois supprimés ces dernières décennies au pays de Galles lors d’une litanie de fermetures d’usines, comme celle de Ford à Bridgend ou la centrale à charbon RWE à Aberthaw.
« Est-ce que le cluster va remplacer tous ces emplois? Non », admet Heather Myers, directrice de la Chambre de commerce locale.
« Mais il montre une manière de collaborative de travailler qui peut inspirer » d’autres secteurs, ajoute-t-elle, comme les biotechnologies, ou les énergies renouvelables sur lesquelles compte pour son avenir cette région côtière battue par les vents.
AFP