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Un bout de paradis

Il n’existe pas de définition uniforme de ce qu’est un « paradis fiscal ». Pour Le Petit Robert, il s’agit d’« un pays où la fiscalité plus souple, plus favorable que dans le reste du monde attire les capitaux étrangers ». Si l’on s’en tient à cette définition large, nul doute que l’imposition nulle que propose le Luxembourg sur les intérêts et redevances en fait un paradis fiscal pour multinationales. L’OCDE, qui n’emploie pas officiellement le terme, livre une définition plus restrictive basée sur trois critères : des impôts insignifiants ou inexistants, l’absence de transparence sur le régime fiscal, l’absence d’échanges de renseignements fiscaux avec d’autres États. Vu ainsi, le pays échappe à la patrouille puisqu’il procède à l’échange d’informations avec d’autres États quand bien même ses règles fiscales demeurent nébuleuses et qu’il offre des « impôts insignifiants ou inexistants » sur certains revenus.

Le gouvernement insiste sur les progrès réalisés ces dernières années dans la lutte contre l’évasion fiscale. Mais la prolifération des sociétés boîtes aux lettres, drainant des milliards vers le pays, démontre qu’il y a encore du chemin à parcourir. À croire les autorités européennes, ces sociétés font souvent office de passoire fiscale par les « paiements sortants » : elles sont le relais des multinationales pour transférer leurs bénéfices vers des juridictions situées hors de l’UE, fiscalement plus accommodantes encore que ne l’est le Luxembourg. Pour le chercheur italien et spécialiste de la fiscalité Tommaso Faccio, ces pratiques ne sont pas anecdotiques, elles sont le cœur même du modèle économique luxembourgeois.

Mais il est vrai que le pays n’est peut-être plus aussi attrayant qu’il a pu l’être par le passé, du moins ne l’est-il plus de la même façon : le secret bancaire a été aboli, les LuxLeaks ont mis fin à la pratique industrielle des rulings et le pays collabore avec d’autres États. Ces avancées, cependant, sont toujours contraintes et le Grand-Duché met beaucoup d’énergie à bloquer de nouvelles initiatives, à l’exemple de l’abandon de l’unanimité sur les décisions fiscales au sein de l’UE. C’est qu’il reste encore de jolis bouts de paradis à préserver.

Fabien Grasser