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[À table avec…] Sven Clément : « Social-libéral me correspond assez bien »


Sven Clément, le président des Pirates, a pris le petit-déj' avec nous. Pas loin du parlement... instructif ! (Photo : Alain Rischard).

À l’occasion des élections législatives, Le Quotidien passe à table à l’heure du petit-déjeuner avec les têtes de liste ou les candidats emblématiques. Pour un échange libre et dépourvu de langue de bois.

Le carillon de la cathédrale vient à peine de sonner les 9 h, vendredi matin, que Sven Clement est déjà bien remonté. Quand il s’installe à la terrasse du Chocolate House Bonn, juste en face du Palais grand-ducal et du Parlement, il répond tout d’abord aux cadres de la Chambre de commerce, avec qui les pirates ont un échange acerbe depuis la veille, par réseaux sociaux interposés, bien sûr.
En cause, une vidéo mise en ligne par l’organisation patronale, que les pirates dénoncent comme sexiste. L’on y voit trois jeunes femmes de dos, au déhanché suggestif, sous le slogan : «Trois bonnes raisons d’adhérer à la Chambre de commerce». «Je suis chef d’entreprise et je crois bien que l’an prochain je ne paierai pas ma cotisation à la Chambre de commerce», s’emporte Sven Clement.

Féminisme pour commencer
Les pirates sont-ils un parti féministe? «Je crois qu’on ne peut plus vraiment parler juste des droits de la femme. Il y a cinq ans, oui, car les questions liées au genre n’étaient pas encore dans le débat au Luxembourg. Parler uniquement des femmes me paraîtrait même discriminatoire, aussi bien pour elles que pour des minorités comme les transgenres.» Mais que dire de ce vaste mouvement mondial, né autour du slogan #MeToo, qui semble avoir à peine effleuré le Luxembourg? Sven Clement avance qu’il y a bien un mouvement demandant la suppression de la TVA de 17,5 % sur les tampons. Mais cela ne va vraiment pas plus loin… «Ce qui n’est pas normal, c’est que deux mâles blancs qui travaillent dans une structure privilégiée décident de ce qui est ou non discriminatoire pour les femmes», tranche celui qui a fondé le Parti pirate en 2009, et qui en assure depuis la présidence.

« Le député, un employé du peuple »

(Photo : Alain Rischard).

(Photo : Alain Rischard).

C’est à l’occasion des législatives anticipées de 2013 que la formation s’est réellement imposée sur la scène nationale et médiatique. Les électeurs découvraient alors dans les débats télévisés un jeune homme de 24 ans, assuré, pugnace, tenant tête aux caciques de la politique nationale, renvoyant dans les cordes Jean-Claude Juncker. Et cela, sans jamais se départir d’un sourire juvénile qui n’a pas disparu depuis. Pourtant, pour Sven Clement, la politique c’est du sérieux. Elle doit servir l’intérêt général : «Le député est un employé du peuple, un employé qui a un contrat à durée déterminée de cinq ans.»
Pour ce candidat de la circonscription Centre, l’intérêt du Luxembourg, c’est d’être plus moderne et plus équitable : à peu de chose près, le slogan affiché par les pirates pour leur campagne électorale. Quand on lui oppose que tous les partis en veulent autant, Sven Clement argumente, cite des chiffres, énumère dans le détail d’innombrables freins à la modernité, sous-entendu autant de verrous que les partis au pouvoir n’ont pas fait sauter.

Lourdeur administrative et piques politiques
Il en va ainsi de la procédure de déclaration et du paiement des cotisations sociales assurées par les patrons : «C’est très long, c’est compliqué et c’est tout juste s’il ne faut pas faire appel à un professionnel… Mais ça en arrange quelques-uns.» Ah bon? Qui ça? «Pas mal d’avocats d’affaires siègent à la Chambre des députés. Je ne dis pas qu’ils en profitent directement, mais il y a un réflexe corporatiste.»
Tout à fait le genre de saillie que Sven Clement affectionne, flèche qu’il décoche comme une évidence au détour d’une phrase, ne manquant jamais de surprendre chez ce presque trentenaire à l’apparence si lisse. «On a une législation sur les impôts qui date de 1933 et qui est rédigée en allemand», poursuit-il avant de préciser sa cible : «On veut aller chercher des ressources sur les astéroïdes, mais l’administration continue à imprimer des formulaires dont le traitement est, dans d’autres pays, déjà totalement digitalisé. De toute façon, ces cinq dernières années, le Luxembourg a loupé le coche de la digitalisation. On a pris du retard car on ne s’appuie pas suffisamment sur la génération née avec internet. Étienne Schneider, le ministre socialiste de l’Économie, dit qu’il est maintenant possible de créer une entreprise en trois jours alors que c’est faux, il faut plutôt compter trois mois.»

De Friedman à Habermas
À l’évidence, le patron des pirates est préoccupé par les obstacles bureaucratiques auxquels font face les entrepreneurs. De quoi donner corps aux critiques de ceux qui voient en Sven Clement un libéral déguisé, à la tête d’un parti à la ligne difficile à décrypter? Il sourit. «Je peux tout autant me reconnaître dans le libéralisme que dans le socialisme. Je me reconnais aussi bien dans Friedman quand il s’agit de fiscalité que dans Habermas quand on parle d’Europe. Les pirates ne sont pas un grand parti populaire, mais nous avons un large éventail de revendications qui sont guidées par une philosophie sociale-libérale… Social-libéral me correspond assez bien.»

«Il faut cesser d’opposer patron et salarié»

Le social et le travail apparaissent en premier point dans le programme des pirates, avec la volonté de renforcer les droits des salariés dans les négociations collectives, d’augmenter le revenu minimum, de libérer du temps libre et d’assurer à chacun un revenu de base, etc. «Il faut cesser d’opposer patrons et salariés, tout n’est pas noir ou blanc. Dans la réalité, les choses sont plus nuancées», dit Sven Clement, adepte d’une politique «pragmatique».

Vivre et laisser vivre

(Photo : Claude Lenert)

(Photo : Claude Lenert)

Mais où alors, dans ce «large éventail», sont passés les fondamentaux des pirates que sont la transparence de la vie publique, la protection de la vie privée, un internet et un monde numérique ouverts et libres? «Nous défendons en tout premier la liberté de tout un chacun de vivre comme il l’entend. Sous couvert de progrès social, on impose des choix aux gens comme c’est le cas avec les chèques-service pour les crèches. On décide qu’ils vont y mettre leurs enfants 20 heures par semaine. De cette façon, on met en place une structure qui dit aux gens ce qu’ils doivent faire.»
Quand il aborde ces sujets, Sven Clement s’échauffe, l’indignation affleure : «Il faut plus de transparence. Pas sur la vie des citoyens, mais sur le fonctionnement de l’État. Comment est-il possible de donner le pouvoir aux conseillers d’État de bloquer une loi sans qu’ils soient obligés de signer leurs arrêts? Celui qui rédige l’arrêt peut très bien être partie prenante sans qu’on ne le sache jamais. Il est temps aussi d’obliger les élus à publier avec davantage de précision les revenus qu’ils perçoivent en-dehors de leurs mandats politiques.»

Pas de programme traduit en allemand ou français
Ces sujets sont singulièrement absents ou peu visibles dans cette campagne électorale qui se polarise notamment sur les questions de la langue, des réfugiés, de «l’identité» luxembourgeoise. Dans leur programme, les pirates exposent une politique étrangère ouverte et généreuse, y compris vis-à-vis des demandeurs d’asile pour lesquels ils revendiquent davantage de droits. Sven Clement déplore la démagogie dont fait par exemple preuve le DP dans ce domaine.
Mais n’y a-t-il pas contradiction, alors, dans le fait que les pirates présentent leur programme dans la seule langue luxembourgeoise, ne l’ayant pas, à l’instar d’autres formations, traduit en allemand et en français? «C’est un choix stratégique de notre part. Il y a quelque 280 000 électeurs, parmi lesquels 20 000 qui ont obtenu la nationalité luxembourgeoise sans passer le test de langue luxembourgeoise. La langue est un moyen d’intégration. Pour nous, ce choix ne vise pas à exclure qui que ce soit, mais à inclure tout le monde par la langue.»

«Je pourrais m’entendre avec quelqu’un comme Claude Wiseler»
Quand on lui pose la question – assez hypothétique – de savoir avec lequel des partis en lice il s’imaginerait gouverner au sein d’une coalition, Sven Clement répond du tac au tac que cela serait totalement exclu avec l’ADR. Il prend le temps de la réflexion, procède par élimination, hésite, juge que les positions d’un CSV sont très changeantes selon le responsable du parti qui s’exprime. «Mais je pense que je pourrais m’entendre avec quelqu’un comme Claude Wiseler.» Finalement, dit-il, «je pourrais discuter avec les quatre grands partis, mais en posant des conditions strictes sur les points que nous défendons». Hors de question de vendre son âme.
Mais ses adversaires le soupçonnent parfois de se servir du Parti pirate comme tremplin vers une autre formation : «Il ne faut jamais jurer de rien, je suis jeune et je ne sais pas où j’en serai dans 20 ou 30 ans. Mais pour l’instant, il en est hors de question. J’ai créé ce parti parce que les autres ne répondaient pas à ce que j’attendais. Nous avons un rôle à jouer dans l’opposition : porter nos idées, les faire connaître, peser dans le débat.»
Faire entrer un ou plusieurs députés à la Chambre paraît donc un impératif. Est-il pour autant atteignable? «Si je suis candidat, c’est pour être élu. C’est pour cela qu’on se présente, non?», dit Sven Clement.
En quittant le Chocolate House, où il a ses habitudes depuis de longues années, Sven Clement passe évidemment devant le Parlement, dont il espère bientôt gravir les marches, un mandat de député en poche.

Fabien Grasser

2 plusieurs commentaires

  1. Je suis parfaitement d’accord avec vous . Sven Clément n’a pas sa place en tant que Député .

  2. Le socialisme et le libéralisme sont TOTALEMENT incompatibles. Se dire des deux, c’est dire qu’on est rien et qu’on a aucune colonne vertébrale.