Elle fournit depuis plus de 80 ans palaces ou ambassades en meubles d’exception, mais peine à recruter ébénistes et autres doreurs: la manufacture de Liffol, dans les Vosges, pâtit de la désaffection des jeunes pour les savoir-faire artisanaux.
Spécialisée dans la fabrication de sièges de luxe, la manufacture Counot-Blandin, implantée à Liffol-le-Grand, produit chaque année un millier de pièces (exportées à 90%), et affiche 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires annuel. Le « siège de Liffol », qui a obtenu la première indication géographique protégée en produits manufacturés en 2016, représente 70% de sa production.
Le carnet de commandes est plein mais Counot-Blandin peine à embaucher des apprentis pour prendre la relève des artisans qui façonnent, vernissent ou tapissent selon des méthodes traditionnelles.
Dans le vaste atelier, 80 modèles des années 1930 à 1950, descendus des greniers et reconfectionnés, ont été disposés entre les établis pour célébrer les 80 ans de l’entreprise vosgienne. Un bridge en feutrine jaune, une bergère en velours vert du paquebot Normandie, un fauteuil Art déco en cuir gris témoignent de la finesse de l’usinage, chère au fondateur de la manufacture en 1934, Pierre Counot.
Cinq départs à la retraite
« Quand on vend un siège, plus de 50% du prix représente la main-d’oeuvre », détaille Anne Thireau-Gérard, la gérante, en s’attardant sur les pieds d’une chaise rehaussée de sabots en laiton, réalisés sur mesure par un métallier. Or depuis deux ans, la manufacture, dont l’atelier emploie 22 personnes, a enregistré cinq départs à la retraite, soit autant de savoir-faire spécifiques.
« Les jeunes ne connaissent plus les métiers artisanaux. Il y a cinquante ans, il y avait un artisan au sein de chaque famille », soupire la gérante, qui regrette que l’apprentissage, où les cours théoriques alternent avec les périodes en entreprise, soit si peu valorisé. « Il faut mettre en avant ces métiers, ce sont des filières d’excellence. On travaille certes dans une usine, mais on ne fabrique pas deux fois la même chose », ajoute Anne Thireau-Gérard. A Counot-Blandin, on prend son temps. Quand sièges et meubles sortent de l’usine, « ils doivent être parfaits. Donc, on a le droit de perdre une heure pour reprendre un détail », assure-t-elle.
Convaincre les parents
A l’association pour la formation professionnelle des industries d’ameublement de Liffol-le-Grand, 57 apprentis et 70 apprenants – des actifs en reconversion professionnelle et des demandeurs d’emploi – se forment entre autres à l’ébénisterie, la tapisserie et la couture. L’effectif des apprentis a gagné 23% en un an, mais il reste des places. « L’ameublement est encore capable de créer des emplois et les métiers évoluent. Pour celui qui veut travailler avec sa main, sa tête ou des outils numériques, il y a du boulot », estime Gwenaël Gehin, directeur du centre de formation.
Il assure que 87% de l’effectif trouvent un emploi à l’issue de la formation car de nombreuses entreprises recrutent dans le Grand Est. Reste à convaincre les parents, « les premiers décideurs », souvent réticents à voir leur adolescent s’orienter dans une filière qui a connu la crise dans les décennies précédentes. L’industrie du bois, qui a fait la renommée de la commune, employait jadis « plus de 2 000 salariés, il y en a 350 aujourd’hui ».
« Un fossé entre générations »
« Peu de Vosgiens vont encourager leur enfant à apprendre un métier dans ce secteur alors qu’ils ont été licenciés et c’est pareil pour le tissage dans les Hautes-Vosges », souligne Gwenaël Gehin. Pour attirer la jeune génération, le centre de formation et Counot-Blandin se sont équipés de commandes numériques, plus attrayantes.
Depuis trois ans, Florian Grémillet, 24 ans, qui s’occupe entre autres d’une machine numérique, glane auprès des anciens leurs astuces pour maîtriser un savoir-faire exigeant. « Il y a un fossé entre ma génération et celle qui part bientôt à la retraite. D’un côté la technologie, de l’autre la tradition », reconnaît le jeune homme. Mais la transmission des gestes reste indispensable, insiste-t-il.
Le Quotidien/AFP