Les ministres européens du Travail sont parvenus à un accord sur le travail détaché, lundi à Luxembourg. Nicolas Schmit salue une avancée. Les syndicats sont perplexes.
Présenté comme une avancée majeure par Paris, l’accord adopté lundi à Luxembourg réduit la durée du travail détaché à un maximum de 18 mois et apporte des garanties incomplètes sur l’égalité des salaires.
Il a été beaucoup question, tout au long de la journée d’hier, de la limitation à 12 mois du détachement des travailleurs. Paris a salué une «victoire» de l’Europe sociale, d’une «Europe qui protège», selon les mots du président Emmanuel Macron. Le chef d’État français avait fait de la question de la limitation de la durée du détachement à un an son principal cheval de bataille dans cette négociation.
«En ce qui concerne la durée, il faut savoir qu’en moyenne les contrats de travail détaché ne dépassent pas trois ou quatre mois et il est donc curieux de parler de victoire», constate Jean-Luc De Matteis, membre du bureau exécutif du syndicat OGBL où il est en charge de ce dossier. De façon générale, «cet accord me laisse perplexe, on pouvait vraiment s’attendre à autre chose», résume le syndicaliste. «Un accord a finalement été conclu, même s’il est assez décevant», a pour sa part réagi hier Liina Carr, secrétaire confédérale de la Confédération européenne du travail (CES).
Pas de division entre Est et Ouest
Même Nicolas Schmit, le ministre du Travail luxembourgeois qui a négocié pour le Grand-Duché, convient que la limitation du détachement à 12 mois ne concernera «qu’une minorité de salariés». Mais, dit-il : «La France, où le problème se pose dans la construction, en avait fait une question politique. Du coup, des pays comme la Pologne en ont fait de même et il a fallu trouver un compromis entre les 24 mois proposés par la Commission et les 12 mois exigés par la France.»
Le compromis porte sur la possibilité pour les employeurs d’obtenir, sur demande motivée, une prolongation de six mois. Un entre-deux caractéristique des accords européens et expliquant, entre autres, les près de 12 heures de négociations nécessaires pour y parvenir. Il ne s’agissait pas du seul point d’achoppement, les négociations ayant longuement buté, lundi, sur le transport routier, finalement exclu de l’accord alors qu’il constitue un secteur très affecté par la problématique. La question sera discutée ultérieurement dans le cadre des négociations sur le Paquet Mobilité.
Pour Nicolas Schmit, cependant, l’essentiel n’est pas là : «Ce qui est au cœur de la directive européenne, c’est la question de la rémunération. Un travailleur détaché percevra le salaire et les primes en vigueur dans le pays dans lequel il est détaché.» Cette disposition, finalisée dès l’été dernier, laisse les syndicats dubitatifs, quand bien même le ministre du Travail assure que les salariés détachés bénéficieront des conventions collectives en vigueur dans les pays et les secteurs dans lesquels ils sont employés. L’accord «ne reconnaît pas de nombreux types de conventions collectives», note sèchement la CES dans un communiqué diffusé hier.
Lundi soir à Luxembourg, quatre pays ont voté contre l’accord adopté à la majorité qualifiée : la Pologne, la Hongrie, la Lettonie et la Lituanie. Le Royaume-Uni, l’Irlande et la Croatie, se sont abstenus. «La République tchèque, la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie ont voté pour, ce qui montre qu’il n’y a pas cette division nette entre les anciens États membres et les nouveaux d’Europe centrale», se réjouit le ministre luxembourgeois.
Accord effectif en… 2022
S’agit-il pour autant d’une grande «victoire» de l’Europe sociale, comme l’a martelé hier Emmanuel Macron, en quête d’un regain de popularité en France? Ancien diplomate, Nicolas Schmit ne répond pas directement : «Quand je suis devenu ministre du Travail il y a huit ans et que j’ai demandé une modification de la directive travail détaché de 1996, on m’a répondu que c’était impossible, illusoire. Mais on est y arrivé. Je veux souligner le courage de Jean-Claude Juncker qui a su synthétiser la question du salaire. Nous avons aussi bénéficié d’une double dynamique. Les pays qui étaient opposés à la modification ont lâché du lest au nom de la libre circulation. Il y a ensuite la position des syndicats des pays d’où viennent les travailleurs détachés : ils veulent mettre fin à cette situation qui crée des salariés de deuxième rang.»
Compte tenu du processus législatif européen et des délais dont disposent les pays pour transposer la directive, cet accord ne sera pas effectif avant 2022. La prochaine étape passera par le Parlement européen et Liina Carr, de la CES, a exhorté hier «les eurodéputés à se mobiliser pour les travailleurs partout en Europe». «La justice pour les travailleurs détachés est importante pour tous les travailleurs parce que des travailleurs détachés exploités mettent la pression sur les salaires et les conditions de travail de l’ensemble des travailleurs. L’égalité des salaires est la seule solution équitable», a-t-elle insisté.
Fabien Grasser