Maria Castrovinci, la présidente de la Fédération luxembourgeoise des structures d’éducation et d’accueil (Felsea), veut rassurer les plus sceptiques à la veille de l’entrée en vigueur du plurilinguisme dans les crèches.
Le plurilinguisme dans les structures d’accueil doit entrer en vigueur en octobre prochain. Les crèches sont-elles prêtes pour ce grand changement?
Maria Castrovinci : Oui et ce sera effectivement un grand changement pour toutes les crèches, car nous en avions qui étaient exclusivement francophones et d’autres où on ne parlait que le luxembourgeois. Tout le monde va devoir respecter le nouveau texte et nous, en tant que Felsea, nous l’avons soutenu depuis le départ puisque nous faisions partie de la phase pilote. Les crèches membres de la fédération ont été tenues au courant de l’évolution du projet. En plus, les agents régionaux sont passés dans toutes les crèches, donc le message a bien été transmis. Les agents régionaux ont été installés par la loi jeunesse et ce sont eux qui passent vérifier les journaux de bord et qui suivent tout le processus de la mise en place des nouveaux critères de qualité.
Et, parmi ces nouveaux critères, il y a la langue luxembourgeoise qui sera dorénavant obligatoire dans les crèches…
Oui, alors que tout le monde a peur que le luxembourgeois se perde! Au contraire, il s’agit d’une sensibilisation aux langues, que ce soit le luxembourgeois ou le français. Les enfants qui n’entendaient jamais de luxembourgeois dans leur crèche vont en avoir et idem pour ceux qui n’entendaient pas de français, ils vont en avoir aussi. Nous sommes dans un pays trilingue à la base et ce sont des langues qu’ils devront maîtriser plus tard. À la crèche, ils vont jouer avec ces langues, ils vont s’en imprégner et elles ne seront plus des langues inconnues quand ils arriveront à l’école, elles auront pour eux une connotation émotionnelle positive et c’est bien là le but. Il ne s’agit pas d’apprendre comme on apprend à l’école, il s’agit de se familiariser avec ces langues.
La majorité des crèches sont-elles effectivement francophones?
Oui. Nous avons 80 % des enfants qui fréquentent des crèches privées, certaines étant exclusivement francophones, d’autres anglophones. Mais nous avons aussi beaucoup de crèches où l’on ne parle que le luxembourgeois et qui devront introduire le français.
Les critiques ont pourtant fusé, notamment du côté de l’opposition gouvernementale, qui dénonce une incohérence par rapport à l’alphabétisation en allemand du système scolaire luxembourgeois. Vous comprenez ces critiques?
Je peux comprendre certaines angoisses qui naissent pour de multiples raisons, mais c’est difficile pour quelqu’un de juger de notre réalité quotidienne s’il n’a jamais travaillé dans une crèche. Quand c’est nouveau, c’est inconnu et ça fait peur. Ces angoisses ne sont pas fondées pour moi et, à côté de notre expérience, ce projet s’appuie sur des études. Si certains parents ont peur que les enfants soient surchargés de langues, qu’ils sachent que c’est à cet âge-là que les enfants réunissent toutes les conditions pour les assimiler. C’est un tout autre apprentissage.
Racontez-nous…
Ce qui est fascinant, c’est surtout leur capacité à s’ouvrir aux autres langues, leur curiosité, leur intérêt à ce jeu des langues. Ils introduisent de temps en temps un mot ou deux dans une autre langue, mais ce n’est absolument pas grave! C’est une richesse, ça signifie que le cerveau de l’enfant est capable de sauter d’une langue à une ou plusieurs autres, ce qu’un adulte n’est pas toujours capable de faire. Comme on peut jouer avec des blocs ou des cubes pour des constructions, ils jouent avec les mots.
Trouvera-t-on assez de personnel qui parle luxembourgeois pour remplir les conditions de plurilinguisme désormais exigées?
C’est une autre question! On doit avoir un objectif a maxima vers lequel on veut tendre. On est bien conscient que le chemin pour y arriver ne sera pas si facile que cela. Parmi ces embûches, il y a le personnel qui maîtrise le luxembourgeois. Beaucoup d’éducateurs choisissent une autre voie que les structures d’accueil et nous sommes déjà confrontés à un problème de recrutement d’éducateurs luxembourgeois. Ils préfèrent les maisons relais.
Entretien réalisé par Geneviève Montaigu
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