Que s’est-il passé durant l’après-midi avant le meurtre des deux petits garçons à Montigny-lès-Metz le 28 septembre 1986 ? La cour d’assises de la Moselle, qui juge Francis Heaulme pour ces crimes, s’est attachée mardi à reconstituer leurs dernières heures, minute après minute.
Premier appelé à la barre, le gendarme Thierry Perchat. Il fut chargé de la contre-enquête au début des années 2000, alors que Patrick Dils est encore en prison, accusé depuis 1989 d’avoir tué à coups de pierre Cyril Beining et Alexandre Beckrich, tous deux âgés de 8 ans, sur un talus SNCF de Montigny. Ses conclusions ? Patrick Dils n’a pas pu tuer les enfants. Pour le démontrer, il a utilisé une méthode novatrice à l’époque : l’analyse criminelle, importée des États-Unis. Il en tire un « diaporama dynamique », une carte des lieux sur laquelle avancent ou reculent de petits personnages oranges, représentant les enfants, les témoins, les passants. Y prennent vie les dernières heures des deux garçons. On les voit jouer, bouger beaucoup, pour aller chercher un copain, pour taper le ballon de foot contre le garage d’une grand-mère. On entend presque ses réprimandes, scrupuleusement notées dans l’emploi du temps de la journée reconstitué par l’enquêteur.
On imagine les copains qui se croisent, vont jouer « à la benne », reviennent près du talus. Une vie de quartier, un dimanche ensoleillé d’automne, où l’un des deux garçons lance à l’autre, « viens, on va dans notre endroit secret ». « A 17h environ, les garçons arrivent sur le talus et posent leur vélo », poursuit le gendarme Perchat. « A 17h15, deux promeneurs aperçoivent les vélos et entendent des rires ». Ce sera, assure le gendarme, « le dernier signe de vie des enfants ».
La thèse Dils toujours dans les débats
Dans les heures qui suivent, du monde se presse dans la rue Vénizélos, qui borde le talus, là où sont abandonnés les deux vélos. Une famille qui promène son chien, un pompier qui rentre d’une intervention, puis les parents qui cherchent leurs enfants dans l’angoisse. Trop de monde pour que Dils, rentré de week-end avec sa famille sur les coups de 18h45 selon le gendarme, ait pu monter sur le talus sans être vu. Oui mais… la défense, extrêmement offensive depuis l’ouverture du procès le 25 avril, attaque. « Un schéma fondé sur des témoignages, ça dépend de ceux qu’on choisit », pique Me Liliane Glock, qui attaque le gendarme pour établir l’heure d’arrivée des Dils à Montigny-lès-Metz.
Thierry Perchat s’est fondé sur celui de la mère de famille, qui assure être partie de Meuse à 17h. Or, « j’ai un peu dans l’idée qu’on trouve d’autant plus facilement quelque chose qu’on le cherche. Et vous cherchiez l’innocence de Dils ». Et revoilà la thèse Dils décortiquée. Entendu plusieurs fois, l’adolescent avait expliqué être parti à 16h de leur maison de vacances, à une centaine de kilomètres. Ce qui laisse, selon la défense, planer un doute sur une arrivée aussi tardive que 18h45. C’est si l’on omet que Patrick Dils a aussi raconté que la famille a fait demi-tour pour aller chercher un tire-bouchon, réplique le procureur général. Ce qui accréditerait à nouveau la thèse d’une arrivée à Montigny trop tardive pour avoir le temps de tuer Cyril et Alexandre. Des éléments déjà discutés lors du procès qui mena à l’acquittement de Patrick Dils, en 2002, à Lyon.
Alors que le ton monte, comme la semaine précédente, entre la cour et la défense, le président s’agace. « Il faut refaire le procès de Lyon ? ». Dans le box, Francis Heaulme, les bras croisés sur sa chemise bleu, fixe l’écran sur lequel sont diffusées des photos des corps des enfants, les visages ensanglantés, enfoncés par les pierres. Le gendarme Perchat s’est assis dans la salle. Il a fini sa déposition depuis un moment, sur ces quelques mots : « Il est 19h50. Les fonctionnaires découvrent deux cadavres d’enfants. J’en ai terminé M. Le président ».
Le Quotidien/AFP
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