Que le Royaume-Uni et l’Espagne aient un contentieux pour Gibraltar, c’est une chose. Mais qu’ils aillent jusqu’à se faire la guerre? En 2013, l’historien et diplomate Elie Barnavi jugeait le scénario impossible. Parce que nous avons là deux États-nations démocratiques, et que «les démocraties libérales, s’il leur arrive de faire la guerre, ne se font jamais la guerre», disait-il.
Exemple à l’appui : en 1982, lorsque l’Argentine s’est emparée des Malouines (possession britannique depuis 1833), la démocratie anglaise fait la guerre à la dictature argentine. Par contre, même si le Royaume-Uni et l’Espagne se disputent depuis des siècles une autre colonie britannique, Gibraltar, «nul n’imagine que les deux pays vont se faire la guerre, puisqu’on a affaire ici à deux démocraties libérales». Conclusion : «Un monde organisé en démocraties libérales ignorera la guerre», jugeait l’historien.
Quatre ans plus tard, le 29 mars 2017, la Première ministre britannique, Theresa May, lance officiellement le Brexit. Depuis, entre les deux «démocraties libérales», les couteaux sont tirés. Un premier boulet est vite lancé contre le Royaume-Uni : le 31 mars, Bruxelles publie sa feuille de route des négociations pour les deux années à venir. Surprise, elle stipule que l’Espagne devra donner son feu vert pour qu’un accord commercial entre l’UE et le Royaume-Uni puisse s’appliquer à Gibraltar. Un camouflet, perçu comme un soutien européen à la revendication de l’Espagne sur ce minuscule rocher, qui suscite des commentaires belliqueux : Michael Howard, ancien leader des tories, enjoint Theresa May de suivre l’exemple de Margaret Thatcher lors de la guerre des Malouines.
Le ministre des Affaires étrangères espagnol a envoyé un autre boulet en déclarant que son pays «n’envisage pas de bloquer» l’adhésion à l’UE d’une Écosse indépendante. Et mardi, un navire de guerre espagnol est entré dans des eaux territoriales au large de Gibraltar, suscitant la colère du Royaume-Uni.
Les démocraties libérales ne se font pas la guerre? Cette affirmation est à ranger dans le dossier «il ne faut jamais dire jamais», à côté de l’affirmation «L’Europe, c’est la paix».
Romain Van Dyck (rvandyck@lequotidien.lu)