« Paterson » (Jim Jarmusch) : la poésie du quotidien

Une fois encore, avec Paterson, son douzième film, Jim Jarmusch propose un cinéma d’élégance sur un sujet comme la vie heureuse et le bonheur. Un bel exemple de cinéma zen.

Le réalisateur américain offre ici un long métrage des plus poétiques, d’une simplicité et d’une puissance remarquables, sur l’exaltation des secrètes beautés du quotidien.

Il est réputé cinéaste fétichiste. On le dit aussi maître dans l’art de l’errance. À 63  ans, le réalisateur américain Jim Jarmusch déroule une filmographie du plus haut niveau avec, entre autres, quelques diamants comme Stranger than Paradise (1983), Down by Law (1986), Ghost Dog (1999) ou encore Coffee and Cigarettes (2003).

Au printemps passé, il était à Cannes, là où, ancien assistant de Wim Wenders, il avait remporté en 1984 la Caméra d’or. Sur la Croisette, il a fait un cadeau : la présentation de son douzième et nouveau film, Paterson , qui arrive en salles cette semaine. La projection à peine achevée, on lui promettait un prix – il a quitté bredouille le festival cannois…

Une fois encore, Jim Jarmusch se promène dans les entrelacs de l’intimité, dans la sphère de l’intime. On est à Paterson, ville du New Jersey… Dans cette «ville des poètes» où vécurent, entre autres, William Carlos Williams et Allen Ginsberg, il y a Paterson, chauffeur de bus, âgé d’une trentaine d’années. Sa vie flotte entre le banal et l’ordinaire, réglée quasi au millimètre entre sa femme Laura, enthousiaste permanente avec projets et expériences, et leur bouledogue anglais Marvin. Dans une poche, Paterson a un carnet secret –  chaque jour, il y écrit des poèmes…

Paterson, un poète que tout le monde ignore, sauf sa femme et leur chien… Alors, direz-vous, et avec ça, on ne va quand même pas faire un film! Eh bien, si, à la seule condition de s’appeler Jim Jarmusch… Véritable ode à la poésie du quotidien, le réalisateur américain a voulu, avec ce film, rendre un vibrant hommage au célèbre recueil du poète William Carlos Williams et à la ville où se déroule l’intrigue. Si toutefois on peut parler d’intrigue avec ce Jarmusch!

Tarte cheddar-choux de Bruxelles

Oui, le personnage de Paterson trimballe une nonchalance qui agacera les tenants du cinéma d’action. Oui, Paterson flâne et pose beaucoup, certains affirmeront qu’on a là un cinéma pour bobo… Qu’importe! On a là un grand film sur un petit sujet, un film qui interroge sur l’être et le néant. Qu’importe les blasés et autres grincheux, Jim Jarmusch propose un cinéma d’élégance, hors normes et qui, encore et encore, interroge et pointe les angoisses qui noircissent la vie qui va.

Jim Jarmusch est un poète de la pellicule, un esthète. Dans Paterson , il ne craint pas d’aligner l’ordinaire et l’extraordinaire. De jouer du noir et blanc – la décoration de la maison composée par Laura, ou encore le film L’Île du docteur Moreau avec Charles Laughton que le couple va voir au cinéma.

D’imaginer une tarte cheddar- choux de Bruxelles cuisinée par Laura, mais qui ne passe qu’accompagnée de grandes rasades d’eau minérale… De montrer un couple qui s’aime d’amour tendre… Avec deux comédiens impeccables, Adam Driver et la lumineuse Golshifteh Farahani, Jarmusch, l’adepte du cinéma zen signe le film dandy rock’n’rollien de l’année. Et rappelle qu’il est un des rares réalisateurs à savoir filmer et montrer la vie heureuse et le bonheur.

Serge Bressan

Paterson, de Jim Jarmusch (États-Unis, 1h58) avec Adam Driver, Golshifteh Farahani, Kara Hayward…