La Theater Federatioun a soufflé hier ses 20bougies. Une soirée anniversaire qui a servi de passation des pouvoirs à sa tête, Carole Lorang succédant à Christian Kmiotek.
Née en 1996, au lendemain de la première édition de Luxembourg capitale européenne de la culture, la Fédération luxembourgeoise des théâtres professionnels, composée actuellement de 19 théâtres, centres culturels et troupes, a fêté comme il se doit, hier soir, son vingtième anniversaire. Christian Kmiotek, président depuis 2012, en a profité pour annoncer sa démission. Il est désormais remplacé à la tête de l’association par l’ancienne vice- présidente, metteur en scène et codirectrice de la Compagnie du Grand Boube, Carole Lorang.
La Theater Federatioun fête ses 20 ans, une belle occasion pour regarder en arrière. Comment est-elle née et pourquoi?
Carole Lorang : Je n’étais pas là à l’époque, mais je crois savoir que c’est en réaction à l’année culturelle et à la création du TNL. Avant, tout le monde fonctionnait un peu comme un électron libre. Avec l’année capitale de la culture, il y a eu cette prise de conscience sur l’importance de se réunir, de dialoguer, de se mettre d’accord sur tout un tas de choses.
Les membres sont donc des théâtres publics, des théâtres privés, des centres culturels et des compagnies…
Oui, toutes les structures en lien avec le spectacle vivant, qui inclut le théâtre, bien sûr, mais également la danse.
Mais pas les auteurs, les comédiens, les metteurs en scène, les scénographes, etc.
Tout à fait, la fédération regroupe les structures et les organismes, pas les personnes elles-mêmes. Il y a des théâtres municipaux qui font de l’accueil et de la création. Il y a des centres culturels qui font aussi autre chose et au niveau du théâtre, surtout de l’accueil et quelques coproductions minoritaires. Il y a de petites structures, comme les théâtres privés, où ceux qui s’occupent de l’administration sont des intermittents qui font ça en plus, de manière bénévole. C’est très disparate! Les besoins et les priorités sont très différents. C’est à la fois le point faible et le point fort de la Federatioun, qui malgré tout fonctionne depuis 20 ans. C’est quand même rare qu’un milieu artistique arrive à se voir comme ça, de manière régulière. Mais effectivement, la Federatioun ne comprend pas les artistes, les intermittents du spectacle. Et je pense, justement, qu’on va devoir se poser des questions par rapport à ça.
Qu’a réalisé la Federatioun en 20 ans?
Un gros travail en lien avec la promotion des pièces, la publicité des théâtres, etc. Il y a, par exemple, la publication de la Theaterzeitung, un supplément mensuel dans la presse luxembourgeoise qui annonce le programme actuel des membres. Il y a aussi le site theater.lu qui permet de consulter le programme complet de la saison en cours. Et puis, toujours dans cette envie de promouvoir le travail des membres est née la Theaterfest, qui en septembre à Neimënster présente les saisons des différents théâtres, l’actualité des compagnies, propose des extraits des pièces en préparation, etc. Après, il y a aussi un travail que le public voit moins. Ces dernières années, on a mis en place différents groupes de travail, sur la diffusion du théâtre et de la danse luxembourgeoise à l’étranger, sur la sensibilisation des jeunes aux arts de la scène, sur le cadre juridique et politico-culturel pour l’exercice de métiers artistiques, etc. On veut vraiment faire évoluer les choses.
Pourquoi ce changement à la présidence de l’association à l’occasion de la fête des 20 ans?
Parce que l’ancien président veut arrêter. De mon côté, je suis membre du bureau de l’association depuis quatre ans et vice-présidente depuis deux ans. On m’a demandé de me présenter à la présidence. J’ai longuement réfléchi, parce que je suis intermittente du spectacle, que j’ai une compagnie à faire tourner, mais bon, j’ai fini par accepter.
Il y a quatre ans, au moment où il prenait la présidence, Christian Kmiotek avait annoncé qu’il travaillerait surtout sur la diffusion des œuvres. Quel sera votre cheval de bataille?
On travaille beaucoup en interne depuis deux ans pour faire évoluer les choses. Pour moi, ce qui manque vraiment dans cette fédération, ce sont les intermittents, les artistes. J’aimerais vraiment changer ce point-là. Faire en sorte qu’on ne soit plus juste la fédération des employeurs du spectacle vivant, mais vraiment une fédération de tout le secteur.
Un peu l’équivalent de la Filmakademie pour le milieu du cinéma.
Oui. Une structure qui permettrait que tout le monde se retrouve autour de la même table pour faire évoluer les choses. Car j’ai l’impression, même si on est un petit pays et un tout petit secteur, qu’il reste toujours des malentendus. Il y a encore plein de gens qui ne comprennent pas très bien ce que ça veut dire être intermittent. Qui ne savent pas combien il doit payer de charges sociales. Qui paye la TVA, etc. Et beaucoup d’intermittents qui ignorent, à l’inverse, que le directeur d’une petite structure n’est pas rémunéré et fait ça bénévolement. Il y a encore beaucoup d’informations à faire passer à l’intérieur même du secteur. Et puis un employeur dans une petite structure est souvent aussi un intermittent, un intermittent peut aussi parfois être producteur d’un spectacle, etc. Ce n’est donc pas normal de séparer les employeurs des intermittents. Car, en réalité, les deux se mélangent. Je pense que la fédération doit représenter tout le monde. Ce sera ça ma priorité, la restructuration de la fédération et du secteur. Mais bon, notre autre grand problème à la Theater Federatioun est que nous n’avons qu’une seule employée. Tout le bureau est bénévole.
Ça correspond à combien de professionnels le secteur du spectacle vivant luxembourgeois?
Difficile à dire. Je pense qu’il doit y avoir une centaine d’intermittents. Après, j’ignore le nombre de salariés dans les différentes structures.
Et en direction du public, que prévoyez-vous?
Une fois qu’on aura restructuré la fédération, qu’on lui aura donné de nouveaux objectifs, qu’on aura réussi à avoir les intermittents à bord, là, on sera plus forts face au ministère (NDLR : de la Culture), on aura une plus grande professionnalisation du milieu qui finira par se sentir au niveau du public aussi.
Comment se porte le secteur du spectacle vivant aujourd’hui?
Je pense qu’il y a de plus en plus de jeunes qui reviennent au pays, ce qui veut dire que de plus en plus de gens bien formés veulent vraiment faire ce métier et en vivre. C’est super ça! Les structures doivent donc suivre. Les Théâtres de la Ville ou le Théâtre d’Esch sont très bien équipés, mais les petites structures, qui sont celles qui font beaucoup de création, ne sont vraiment pas assez soutenues. Aussi bien pour leurs besoins administratifs que pour leurs besoins financiers pour la création artistique.
Et le public, suit-il? Il s’intéresse au théâtre grand-ducal ou il se contente des accueils de grands spectacles étrangers?
Là encore, difficile de répondre. Mais il faut reconnaître que le public est souvent un peu le même. Il y a un gros travail à faire au niveau de la recherche de nouveaux publics. Tous les théâtres devraient s’y mettre. Un grand travail est en train de se faire en direction des scolaires, ce qui est très bien, puisque c’est le public de demain, mais il faut aussi attirer d’autres publics aujourd’hui. Des publics différents, en lien avec la thématique d’une pièce, avec un auteur, etc. Mais là aussi, il faudrait des gens qui ne travaillent qu’à trouver le bon public pour la bonne pièce. Il y a plein de choses à faire, mais, encore une fois, on n’a pas les moyens pour.
Un autre grand problème du théâtre grand-ducal, c’est qu’on monte une pièce, on crée un décor, on répète pendant des semaines, pour parfois, après, juste cinq ou six représentations.
C’est vrai. C’est l’autre grand chantier de la fédération. Il y a un vrai travail aussi à faire au niveau de le diffusion nationale et surtout internationale. C’est primordial! Mais encore une fois, on n’a pas les moyens pour le faire, pour aider les structures à se faire un réseau. C’est un métier en soi, il faut trouver les bons partenaires, qui ne sont pas les mêmes selon les structures. Et on n’a pas non plus les moyens budgétaires pour créer, par exemple, un festival du Théâtre luxembourgeois et inviter des diffuseurs étrangers. On adorerait le faire, mais c’est un travail à long terme.
Entretien réalisé par Pablo Chimienti