Ben Gastauer va aborder du haut de ses 30ans sa neuvième saison chez AG2R La Mondiale, où il campe un coéquipier modèle. Il entend continuer, mais pas seulement !
Vous avez un début de programme de courses pour 2018 identique à celui de 2017…
Ben Gastauer : Oui, j’ai demandé à refaire le Tour Down Under (16-21 janvier) comme la saison dernière. Voici un an, j’étais sceptique lorsqu’ils me l’avaient proposé. Mais cela s’était bien passé. Et au retour, j’étais alors resté trois semaines à la maison. L’idéal pour refaire des bases. Avant de partir pour le Tour d’Abou Dhabi. Cela m’avait bien plu. Donc je repars sur le même schéma, à la différence près que je combine ça avec des vacances familiales.
Là, je vais partir dès le 5 décembre à Dénia en Espagne pour le traditionnel stage de décembre mais le 15 décembre, je pars avec ma famille en Australie à titre personnel, avant de disputer le Tour Down Under, donc. Puis début février, je ne resterai pas au Luxembourg. Je repars, toujours avec ma famille, pour un stage personnel d’une douzaine de jours aux Grandes Canaries. Du 5 décembre au 25 février (le Tour d’Abou Dhabi se disputera du 21 au 25 février), je serai donc au soleil. C’est difficile de trouver mieux ! On va voir ce que ça donne.
Au printemps dernier, vous aviez enchaîné avec Tirreno-Adriatico. En 2018, vous pourriez être au départ de Paris-Nice (4-11 mars) ?
Oui, j’ai demandé à participer à Paris-Nice puis au Tour de Catalogne (19-25 mars). Pour l’instant, c’est la tendance.
Finalement, et comme l’an passé, cela ne serait pas étonnant de vous retrouver au départ du Giro, non ?
Je ne sais pas encore. Pour les grands tours, les sélections prennent forme un mois avant. On a les grandes lignes en début de saison. Ensuite, c’est vrai que tout est possible. Soit une préparation 100% Tour. Soit comme l’an passé, une participation au Giro.
Vous êtes fier de vous en être bien tiré ?
Oui, car ce n’est pas simple à appréhender. Au final, cela s’est bien passé. Cela m’a donné de la confiance et de l’importance. Et je sais que je peux me baser sur mes sensations. Il faut que je m’écoute.
À 30 ans, vous figurez parmi les équipiers les plus réputés du peloton professionnel. Vous en êtes fier ?
C’est mon métier et oui, j’en suis assez fier. Je sais que j’ai ma part dans les résultats que mon équipe réalise. Je suis sorti fier de l’évolution de mon équipe depuis 2010, l’année où j’ai débuté comme professionnel dans cette équipe.
Sur le dernier Tour de France, votre rôle auprès de Romain Bardet n’est pas passé inaperçu…
C’est vrai que nous avons pris des initiatives, donc ça se voit. Sur le Tour d’Italie, c’était un peu différent avec Domenico (Pozzovivo). Nous courions davantage de façon défensive. Sur le Tour, Romain (Bardet) voulait attaquer, on s’est donc montré davantage. Et j’avais également une meilleure condition au Tour qu’au Giro.
Sur ce Tour 2017, vous sembliez plus fort qu’en 2014, où vous vous étiez révélé dans ce rôle de coéquipier précieux pour vos leaders…
On prend de l’expérience chaque année et aujourd’hui, je sais mieux gérer mon travail qu’à l’époque. En 2014, j’avais terminé 21e du Tour contre 37e cette année. Mais ces places ne sont pas importantes pour un coéquipier comme moi. C’est vrai qu’au fil des ans, l’équipe grandit, prend de la maturité. On sait mieux courir ensemble. Avec les années qui passent, on parvient à mieux gérer les efforts. Surtout sur un grand tour, c’est important.
On vous a vu jouer des coudes et avec vos coéquipiers, faire votre place pour protéger votre leader. Une chose aisée ?
Non, cela n’est pas évident. Il y a toujours une grande bagarre. Mais la différence au fil des ans, c’est que l’équipe AG2R la Mondiale est de mieux en mieux acceptée par le peloton à cette place-là. Il y a de cela quelques années encore, on avait du mal. Mais toute l’équipe est plus forte. On se défend mieux.
La nouvelle façon de courir des équipes de leaders, lesquelles, sur des routes plates n’hésitent plus à rouler de front, n’est-elle pas éprouvante pour un coéquipier ?
C’est surtout sur le Tour qu’on voit ça. Toutes les équipes veulent protéger leurs leaders sans prendre le moindre risque. Et au final, rien ne se passe. Tout le monde veut être devant. Du coup, ça roule vite, c’est nerveux et oui, c’est très dur pour les coéquipiers comme moi. Mais, on n’a pas le choix.
Cette force collective des meilleures équipes est-elle, à vos yeux, l’une des clés du cyclisme actuel ?
On ne peut pas gagner un grand tour sans équipe. On en a besoin. Sky, par exemple, est d’un niveau supérieur. C’est difficile de les battre. Avec Froome qui est très fort, le plus fort actuellement sur les grands tours. Mais ce n’est pas parce qu’ils sont au-dessus, qu’on ne peut pas les battre, même si sur le papier, ce n’est pas simple.
Cela valorise le rôle des coéquipiers finalement, non ?
Oui, on parle de plus en plus des coéquipiers. Il faut dire qu’avec les retransmissions intégrales des étapes, les téléspectateurs voient de plus en plus ce qui se passe sur toute la course. Notre travail est reconnu. Et la façon dont se déroulent les courses impose d’avoir des équipes fortes. Donc des équipiers non seulement forts mais capables de se dévouer pour l’équipe.
En fonction de ces données, concevez-vous le métier et l’entraînement différemment ?
Avec les années, j’ai pris cette étiquette d’équipier mais personnellement, j’ai toujours envie de gagner des courses et de rouler pour moi. Du coup, à l’entraînement, je me prépare surtout pour réussir à gagner des courses. J’essaie de sortir du mode diesel dans lequel confine le travail de coéquipier. Mais je suis très content avec le rôle que j’ai. Si on regarde les résultats, à la fin de saison, en 2017, je n’ai même pas fait un top 20. Pendant la saison, je suis content du travail que je fais et l’équipe également. Mais bon, je me suis dit aussi que cela aurait été bien de faire des petits résultats aussi pour moi…
Mais ce que vous avez réalisé sur le Tour, cela ne vaut-il pas une belle victoire ailleurs ?
Si. Le Tour c’était super. Cette saison 2017, pour moi, cela reste une grande réussite. Je me suis même surpris de boucler deux grands tours dans la même saison.
Au-delà des félicitations et des remerciements dans votre équipe où on reconnaît votre travail, quel autre motif de satisfaction avez-vous éprouvé en tant que coéquipier ?
C’est l’évolution de l’équipe au fil des ans qui me fait surtout plaisir. C’est impressionnant. Cela n’a rien à voir avec 2010. Je suis resté fidèle à l’équipe AG2R La Mondiale et voir de l’intérieur tous nos progrès, cela me fait penser que j’ai ma part également dans cette réussite. La joie de voir son leader monter sur le podium du Tour, cela reste quelque chose de grand. Trois fois, j’ai fini le Tour et trois fois, j’avais mon leader sur le podium (NDLR : 2014 avec la deuxième place de Jean-Christophe Péraud, 2016 et 2017 avec la deuxième puis la troisième place de Romain Bardet). C’est quelque chose d’exceptionnel.
Vous avez renouvelé votre contrat en fin de saison pour une prolongation jusqu’en 2020. C’était simple ?
Oui, très tôt dans la saison, tout avait été réglé. J’ai signé durant le Tour, mais il n’y avait pas de problème. Lorsqu’on a fait le bilan de la saison, certes je n’avais pas de résultat personnel, mais mes dirigeants étaient heureux de mon travail.
En 2018, c’est donc vous-même qui tenterez d’obtenir des résultats ?
Oui. Mes dirigeants seront contents si j’en obtiens.
Cela pourrait venir dans quelles courses ?
N’importe où. Il faut juste trouver la bonne journée, la bonne échappée. J’ai essayé plusieurs fois en 2017, mais je n’ai jamais eu de réussite sur ce plan-là. Et sur le Tour, je sais d’avance que je ne pourrai pas prendre l’échappée. Il faut savoir cibler les jours et ce n’est pas simple sur les épreuves du World Tour. Mais j’y crois toujours ! Même si c’est compliqué.
Aujourd’hui, vous vous donnez combien de chances d’être au départ du Tour 2018 ?
Le parcours sera très spécial et cela pourrait me convenir puisque je peux aider l’équipe sur tous les terrains. Mais avec la réduction du nombre de coureurs par équipes, de neuf à huit, ça réduit les chances. Mais bon, je me donne quand même 65% de chances.
Sur le dernier Tour, on vous a vu rouler en tête de peloton très longtemps…
Oui, de ce point de vue-là, j’ai résisté plus longtemps qu’en 2016 et 2015, où c’est vrai, j’étais souffrant. Mais mon rôle était différent également. Mais pour revenir à 2017, je pense que le Giro qui était très montagneux, m’a aussi donné le niveau pour le Tour.
À 30 ans, pensez-vous encore progresser ?
Je l’espère. Pour l’instant, j’ai toujours progressé. J’ai eu effectivement mes 30 ans. Je ne suis plus tout jeune, mais j’espère continuer dans ce sens. J’ai toujours envie de travailler dur et je n’ai aucun signe d’un quelconque fléchissement. C’est très bien.
L’arrivée de Siena, votre fille, a changé quoi dans votre vie ?
J’ai envie de revenir souvent à la maison et la vie de famille est encore plus importante aujourd’hui. Mais on s’organise différemment. J’emmène ma famille lors des stages. Je m’efforce de perdre le moins de temps possible. Je pars m’entraîner plus tôt qu’avant. Ma vie de famille est un plus pour moi.
Vous suivez également des cours pour devenir comme votre épouse kinésithérapeute après votre carrière. Expliquez-nous ?
J’ai commencé des cours de kiné cet hiver. J’ai à présent 30 ans donc je réfléchis à ce que je pourrais faire après ma carrière même si je n’envisage pas encore mon retrait du peloton. Je pense que c’est important d’avoir un plan pour l’après. Je vois beaucoup de coureurs qui sont démunis et galèrent lorsque la carrière s’arrête. Cela peut être dur.
J’ai réfléchi et je me suis inscrit à l’université Lunex à Differdange que je dois remercier. Ils se sont montrés très flexibles pour me faciliter les choses. C’était le bon moment pour commencer. Je n’aurai pas le diplôme lorsque ma carrière s’arrêtera puisque les études normales courent sur quatre ans, mais je suis les cours que je peux en étant absent. Cela progresse doucement, mais tout ce qui est fait est fait et une fois que ma carrière sera terminée, j’aurai gagné du temps.
Pour reparler de votre carrière, vous n’avez jamais été blessé…
Non, rien de grave (il sourit). Je n’ai jamais souffert de tendinite, de douleurs ou de fractures, mis à part une côte sur le Tour 2015 (NDLR : qu’il dût abandonner après une inflammation aigüe des voies respiratoires). Je ne me suis jamais cassé la clavicule, j’ai toujours eu beaucoup de chance…
Comment expliquez-vous ça ?
Je ne tombe pas souvent. En 2017, je ne suis tombé qu’une fois en fin de saison et jusqu’à maintenant, je ne suis tombé que deux fois seulement lors de mes dix grands tours déjà parcourus. J’ai sûrement un peu de chance, mais je ne prends pas non plus des risques démesurés. Je reste raisonnable. Mais bon, si ça tombe devant toi à pleine vitesse, on ne peut pas éviter…
On a beaucoup évoqué la dangerosité accrue dans les courses ces dernières années. Vous le ressentez également ?
Le niveau étant devenu plus homogène dans le peloton, il y a plus de coureurs qui sont encore présents dans le final des courses. Lorsque avant on ne retrouvait que 20 coureurs, il y en a aujourd’hui 60. Cela frotte davantage. Les routes sont aussi moins adaptées qu’il y a 20 ans. Et sans doute que les organisateurs recherchent davantage de spectacle dans la première semaine des grands tours avec des parcours quelquefois dangereux.
Depuis vos débuts professionnels en 2010, avez-vous assisté à une évolution du cyclisme ?
J’ai surtout assisté à l’évolution de notre équipe. En 2010, nous n’avions pas d’entraîneur alors qu’aujourd’hui, ils sont trois, avec un directeur de la performance. Tout est davantage encadré à l’intérieur de la structure. On travaille sur tous les domaines. Sur le matériel, la nutrition. On n’a pas le budget d’une équipe comme la Sky. On a encore du mal à avoir un camion cuisine alors qu’eux l’ont depuis longtemps.
C’est frustrant de lutter contre plus gros que soi ?
Non, je n’ai pas ce sentiment. Car on voit que nous sommes compétitifs, nous avons notre chance. L’argent ne fait pas toujours tout. Notre force, c’est que notre équipe, c’est une famille. On est des copains, capables de s’investir les uns pour les autres.
Ce n’est pas qu’un discours ?
Absolument pas, on le ressent vraiment. Cela donne une vraie force collective qu’on ne peut pas acheter avec l’argent. Nos leaders ont le charisme pour impulser ça. Avec Romain (Bardet), on a un leader qui est là toute l’année. Il est exigeant avec lui-même et avec les autres coureurs. Du coup, tout le monde est tiré vers le haut. D’autres coureurs comme Oliver Naesen ont fait progresser le groupe des coureurs de classiques. Pour le moment, l’équipe n’était encore jamais parvenue à être performante dans les classiques. Avec Oliver, c’est différent. Il arrive à motiver les troupes.
Que pensez-vous de l’arrivée de Tony Gallopin pour 2018 ?
Il sera là dès Paris-Nice sur une course où on a toujours eu du mal ces dernières années. Et sur le Tour, il est toujours performant. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour moi (il rit) mais pour l’équipe, c’est une super recrue. On peut compter sur lui. On aura également comme recrues le jeune Clément Venturini qui sait gagner des courses puisqu’il a remporté les Quatre Jours de Dunkerque et le Suisse Silvan Dillier qui est aussi passé par le centre de formation de Chambéry où on s’est juste croisé.
En évoquant le centre de formation de Chambéry, que pensez-vous de Kevin Geniets ?
Il a bien progressé. Il a passé son bac et il a aujourd’hui plus de temps à consacrer au vélo. Il est sur la bonne voie. S’il progresse encore un peu et remporte des courses, il n’y aura pas de problème pour lui et il passera professionnel.
On voit le parallèle avec vous, non ?
Oui, il a le même physique. Dans l’équipe, ils se moquent un peu et disent qu’au Luxembourg on est tous pareils : grand et mince. Comme les Schleck avant. Je me fais chambrer… Pour en revenir à Kevin, s’il reste concentré sur le vélo, il n’y a pas de raison, il y arrivera !
Entretien avec Denis Bastien