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Prix Sakharov : les lauréates à Luxembourg pour raconter l’enfer de Daech


Nadia Murad et Lamia Haji Bachar, rescapées de Daech profitent de l'attention médiatique du prix Sakharov pour témoigner sans relâche de la situation du peuple yézidi en Irak. (Photo Alain Rischard)

Les deux lauréates yézidies du prix Sakharov, Nadia Murad et Lamia Haji Bachar, étaient jeudi à Luxembourg. Elles ont raconté devant un auditoire très ému les exactions subies sous le joug de Daech en Irak.

Alors que les exactions en Syrie ont repris leur place sur les devants de la scène médiatique, le prix Sakharov, décerné mardi au Parlement européen à Strasbourg à Nadia Murad et Lamia Haji Bachar, a remis les projecteurs sur la situation du peuple yézidi en Irak. C’est en août 2014 que Daech s’abat sur la communauté yézidie, dans le nord de l’Irak. Cette minorité religieuse est la cible à abattre pour les fanatiques islamistes qui voient dans ce petit peuple des mécréants qu’il faut rayer de la carte. Nadia raconte : «Ils sont venus dans notre ville et ils ont tué 5 000 personnes, puis ils nous ont rassemblés dans la cour de l’école. Les soldats de Daech ont donné deux options : abjurer notre foi ou mourir. Les filles sont considérées comme esclaves sexuelles à partir de 9 ans. Beaucoup se sont suicidées, d’autres sont mortes lors de bombardements. Quarante charniers ont été découverts au moment de la libération de certaines zones. Combien en reste-t-il à découvrir ?»

Pour la reconnaissance d’un génocide

Le récit des deux jeunes femmes fait frémir. La voix est posée, le regard est franc. Les deux jeunes femmes ont pourtant vécu l’enfer pendant de longs mois. Viols quotidiens, brimades, torture : le terme d’esclavage sexuel n’est pas trop fort pour décrire ce qu’elles ont vécu. Elles ont été «vendues» d’homme en homme sur de véritables marchés à esclaves. En 2016. Et cela continue pour d’autres…

Le récit de Lamia Haji Bachar est insoutenable. Elle raconte comment elle est méthodiquement violée et torturée par chacun de ses bourreaux qui la possède pendant quelques semaines avant de la revendre au plus offrant. Elle essaie de s’échapper plusieurs fois. Elle est rattrapée, et la sentence est terrible. Elle est torturée et battue, si bien qu’un jour on la frappe jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. C’est seulement en avril dernier que Lamia parvient à finalement s’enfuir pour de bon : «Nous étions trois esclaves sexuelles chez un même médecin irakien. En s’enfuyant, mon amie a marché sur une mine antipersonnel. J’ai pu rejoindre les combattants kurdes, alors que j’avais perdu mes deux yeux. J’ai depuis retrouvé l’usage d’un seul œil.» Lamia porte toujours sur elle les marques de cette mine, face visible des multiples exactions qu’elle a dû subir.

Nadia Murad s’est, elle, échappée de ses bourreaux en novembre 2014, et a rejoint l’Allemagne via un camp de réfugiés au nord de l’Irak. Elle milite depuis à un niveau international pour que ces persécutions soient qualifiées de génocide du peuple yézidi. Ce dernier a fait l’objet de persécutions à maintes reprises au cours de l’histoire.

Pas les bienvenus en Turquie

Aujourd’hui, les Yézidis ne sont pas en sécurité en Turquie qui les considère comme une minorité kurde : «La communauté yézidie n’est pas la bienvenue en Turquie, relève Frank Engel, qui s’est récemment rendu dans un camp de réfugiés yézidis dans le pays. L’eurodéputé CSV ajoute : «Si la religion figure sur les cartes d’identité en Turquie, pour les Yézidis, rien ne figure, leur religion est niée. Les Européens ont peur que la Turquie ne déverse des centaines de milliers de réfugiés sur le continent, mais Erdogan a besoin d’eux. Il a besoin de supplanter les populations kurdes de Turquie par des sunnites conservateurs.»

Les deux jeunes femmes vivent aujourd’hui en Allemagne, mais n’en oublient pas pour autant leur communauté qui est toujours en proie aux persécutions de Daech. Elles qu’on a voulu réduire au silence ont décidé au contraire de devenir des porte-parole de leur peuple. Nadia Murad : «J’ai commencé à parler publiquement des exactions de Daech avant le prix Sakharov. Je ne suis pas coupable de ce qu’il s’est passé, je me sens investie d’une responsabilité de raconter, ayant assisté aux premières loges aux atrocités de Daech. Nous sommes aujourd’hui en sécurité en Allemagne, mais nous avons toujours peur de Daech. Nous ne nous attendions pas du tout à eux en Irak. Le danger est partout.»

Le courage des deux jeunes femmes force le respect. «Je suis heureuse d’être la voix des victimes. Nous avons été le témoin de viols et du commerce de ces femmes, nous avons vu ce qu’il s’est passé», évoque Lamia. Les centaines de milliers de Yézidis qui vivaient pacifiquement en Irak voudraient revenir sur leurs terres. Mais cette perspective apparaît de plus en plus improbable au vu de l’emprise de Daech dans la région.

Audrey Somnard