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Ces robots qui inquiètent au Luxembourg


Les emplois non qualifiés sont les plus menacés par la robotisation. (illustration AP)

La Chambre des salariés (CSL) a organisé, mardi, une conférence sur les menaces sur l’emploi que feraient peser la robotisation et les algorithmes.

Pour Serge Vendemini, professeur des universités Panthéon-Assas Paris II, la peur que suscite l’avancée des nouvelles technologies parmi les citoyens est avant tout due à «une bulle médiatique» qui aime à décrire un scénario apocalyptique. Il rappelle tout d’abord que la robotisation – c’est-à-dire l’utilisation d’automates capables de manipuler des objets, d’exécuter des opérations selon un programme fixe, modifiable ou adaptable – n’est pas généralisée à l’ensemble des secteurs d’activité et que la vitesse du processus dépend également du coût de la mise en place des robots.

Malheureusement, le thème des algorithmes – qui permettent l’automatisation du traitement de données et la production en automatique d’aides à la décision – ne sera que très superficiellement abordé du fait de l’absence de dernière minute d’un intervenant spécialiste de la question. Une absence d’autant plus dommageable que les algorithmes, bien plus encore que les robots, sont déjà très présents dans le monde professionnel et la sphère privée.

Pour corroborer ses dires sur les dangers surestimés de la robotisation, Serge Vendemini a passé en revue toute une série d’études sur son impact sur l’emploi et les a divisées en deux catégories distinctes : celles privilégiant «la notion d’emploi» et celles privilégiant «la notion de tâches». Cette dernière notion voit ainsi «un emploi comme une somme de tâches», Vendemini affirmant qu’il est «rare qu’un emploi soit totalement monotâche». Et que l’on prenne l’une ou l’autre approche, les résultats sont diamétralement différents.

De 10 à 52% des emplois menacés…

Ainsi, une étude de l’université d’Oxford (Osborne et Frey) de 2013, qui a passé en revue quelque 700 métiers, affirme que 42% des emplois seraient menacés dans un horizon de 10 à 15 ans. Une étude d’ING Luxembourg de 2015 portant sur le Grand-Duché atteint elle le pourcentage de… 52% d’emplois menacés !

Mais les analyses plus récentes qui se concentrent non plus sur l’emploi en général mais mesurent le risque d’automatisation de chaque emploi selon les tâches qui le composent donnent des résultats un petit peu plus rassurants. Que ce soit l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2016 ou le Conseil d’orientation des retraites (COR) français en janvier 2017, leurs résultats tournent autour de 9 à 15% d’emplois menacés d’ici 10 à 15 ans.

Pourquoi un tel écart entre les deux approches ? «Essentiellement parce que les premiers travaux considéraient comme automatisables des métiers qui pourtant nécessitent fréquemment de travailler en équipe ou d’être en relation directe avec les clients, tâches qui – à ce jour – ne peuvent être aisément confiées à des robots», argue l’universitaire. Mais la faiblesse de cette démonstration tient peut-être dans ces trois petits mots : «à ce jour». Et Serge Vendemini de prendre l’exemple du métier de guichetier de banque qui n’a pas disparu avec l’apparition des distributeurs automatiques ou virements bancaires par internet, mais s’est «transformé en prenant une dimension de conseiller, de commercial».

Une ode à l’adaptabilité des travailleurs

Mais parmi toutes les études citées, un consensus se dessine sur les secteurs les plus automatisables à l’avenir, qui comprennent des emplois manuels et peu qualifiés : agent d’entretien, ouvrier non qualifié des industries de process, de la manutention, du second œuvre du bâtiment, caissier.

D’où l’inquiétude du public au sortir de l’exposé de l’intervenant. «Ne va-t-on pas créer deux mondes à terme ? Celui de ceux qui maîtrisent ces technologies et les autres?», interroge l’un des spectateurs. Serge Vendemini plaide alors pour l’adaptation des employés concernés, «pour la formation tout au long de la vie». Sans compter «que les robots vont créer de nouveaux emplois car il faudra bien des gens pour s’en occuper».

«Plutôt que de s’opposer à une évolution inéluctable, il faudra s’adapter, déclarait dans son discours d’introduction Alain Fickinger, vice-président de la CSL. D’ailleurs, l’évolution au travers des siècles a bien montré que ceux qui survivent aux changements majeurs sont ceux qui savent s’adapter aux nouveaux environnements.» Et c’est bien cette adaptation qui préoccupait de nombreuses personnes dans la salle. Comment adapter concrètement les personnes concernées ? Ne va-t-on pas laisser beaucoup de personnes sur le carreau ? Sur ce point, la réponse de Serge Vendemini est à double tranchant : «Il faut être optimiste (…) surtout au Luxembourg qui a su s’adapter au déclin de la sidérurgie par exemple avec l’essor des banques.»

Nicolas Klein

Et la logistique ?

Une attention particulière a été portée au secteur de la logistique au Luxembourg au cours de la conférence, en se basant sur une étude des étudiants du master «management de projets logistiques».

Sur les 13 000 travailleurs que compte le secteur, environ 3 800 emplois non qualifiés (manutentionnaires, conducteurs d’engins, ouvriers du tri…) pourraient être impactés d’une manière ou d’une autre par la robotisation, soit 29% du total. Et deux arguments de poids viennent corroborer ce scénario : la baisse significative des prix des robots rendant le coût horaire de fonctionnement inférieur au coût du travail et le retour sur investissement se situant désormais autour de trois ans ou moins.

Mais là encore, Serge Vendemini se montre optimiste : «De nouveaux emplois vont se créer autour de ces robots, pour leur entretien, leur révision. Et par sa position géographique, le Luxembourg pourrait devenir un hub de la logistique du robot. Fanuc (NDLR : géant japonais de la construction de robots industriels) a par exemple choisi le Luxembourg pour en faire son hub européen.»