L’année 2016 sera celle de la réalité virtuelle, parie la société a_BAHN, qui veut organiser au Luxembourg le premier festival européen consacré à cette technologie. Dossier.
Vivre les plus grands évènements sportifs, piloter une fusée, visiter le Luxembourg du XVIIIe siècle, suivre un reportage en immersion, et le tout, comme si on y était… La réalité virtuelle va révolutionner notre rapport à l’image. La société de production a_BAHN, basée à Differdange, nous explique comment ça marche.
C’est quoi?
« L’idée de base, c’est l’immersion , résume Nicolas Blies, producteur chez a_BAHN. Avec la VR (réalité virtuelle) , on peut faire plonger le spectateur dans un monde imaginaire .» Car la VR va plus loin que tout ce qui a déjà été fait, grâce à des effets visuels, mais aussi sonores, voire pourquoi pas olfactifs et tactiles. « On ment à tes sens, mais c’est un mensonge accepté par le cerveau, et c’est cela qui te fait entrer dans l’illusion. » On n’est plus FACE à un film ou à un jeu vidéo, mais DEDANS.
Comment ça marche?
Les technologies qui exploitent la VR utilisent généralement un casque occultant, sorte de grosse paire de lunettes qui couvre tout le champ visuel, avec un affichage panoramique. Mais il ne s’agit pas d’un banal projecteur d’images : « On a une vision à 360 degrés grâce à des capteurs de mouvements. Donc, quand je tourne la tête à gauche, les images suivent et me montrent ce qu’il y a à gauche. »
Il est également possible, grâce à des capteurs ou des manettes reliés à nos mains ou nos pieds, d’effectuer certains gestes ou actions dans le monde réel, et de les transposer dans le monde virtuel : on saisit un objet virtuel, on court, on vole dans le ciel… Cette réalité virtuelle peut tout aussi bien exploiter des images réelles que numériques, en 2D ou en 3D. Par exemple, une batterie de caméras stéréoscopiques (3D) dirigées dans toutes les directions capturera un film à 360 degrés d’un paysage, dans lequel on pourra très bien incruster des éléments factices, comme un animal fantastique qui semblera être à portée de main.
De plus, « au niveau du son, on travaille en binaural, donc, plusieurs micros vont capter le paysage sonore à 360 degrés, ce qui va permettre d’identifier et de repositionner les sources sonores. Donc, l’oiseau qui était à gauche pourra être entendu à droite. »
À quoi ça sert?
Assister à un concert de U2 au premier rang, foncer au volant d’une voiture de rallye, faire un combat de sabre laser sur l’Étoile noire, voler au-dessus du Mont-Blanc… Tout est possible! « Ce qui est génial dans la VR, c’est que tu peux tout faire : du virtuel en images de synthèse ou en images réelles, des jeux vidéo, des films, des applications pour les parcs d’attractions, les musées, les architectes, les médecins, etc. On peut tout imaginer en terme d’immersion »… y compris le sexe virtuel !
Les défis
La VR représente plusieurs défis. D’abord, le coût (lire ci-dessous). Un autre défi, et pas des moindres, est de revoir complètement la narration, à cause de la liberté de mouvement du spectateur : comment faire s’il regarde à gauche pendant qu’il se passe quelque chose d’important à droite? « Il faut en effet construire des narrations complexes autour de cette liberté, voir comment on peut jouer sur les effets visuels pour orienter le spectateur. » Et, pourquoi pas, imaginer des scénarios à choix multiples, où l’action du spectateur change la trame de l’histoire!
Et puis, il y a les défis techniques : en filmant à 360 degrés, il faut faire disparaître l’équipe de tournage qui se trouve à proximité ou le pied de la caméra qui apparaît à l’écran.
Enfin, il y a un défaut physique : la nausée. Là où le cinéma peut parfois donner un peu le tournis, la réalité virtuelle peut carrément retourner l’estomac à certains, selon le degré de sensibilité de la personne, la qualité de l’immersion, les conditions d’utilisation. Pas agréable!
Mais tous ces défis ne pèsent guère lourd face aux opportunités qu’offre la VR : « Tous les jours, il y a de nouvelles productions qui sortent, on est en pleine expansion s’enthousiasme Nicolas Blies… C’est un terrain vierge à explorer. Les possibilités sont infinies! »
Romain Van Dyck
Les pionniers de la VR
Le marché des smartphones et des tablettes numériques étant arrivé à maturité, les acteurs du secteur cherchent la nouvelle poule aux œufs d’or. La VR arrive à point nommé, et des géants comme Google, Facebook, Sony, Samsung sont sur les rangs. Selon le cabinet Digi Capital, le marché de la VR pourrait ainsi peser jusqu’à 30 milliards de dollars d’ici quatre ans!
Au premier rang, l’ Oculus Rift, lancé en 2012 sur Kickstarter, et racheté pour deux milliards par Facebook. Le casque devrait arriver en Europe cet été et être vendu à près de 700 dollars. Plutôt cher pour un casque qui doit en plus être raccordé à un bon PC!
HTC propose de son côté le HTC Vive, un casque couplé à deux contrôleurs manuels, et des capteurs qui repèrent les mouvements de l’utilisateur pour améliorer l’immersion. Sony est aussi sur les rangs, avec Playstation VR, un casque dont le prix devrait avoisiner les 399 euros.
Le casque de réalité augmentée HoloLens de Microsoft permet lui de superposer des images de synthèse sur des images réelles.
« Moi, je crois beaucoup aux modèles qui utilisent les smartphones, comme le Samsung Gear VR, où tu regardes ton smartphone via des lentilles, et qui coûte une centaine d’euros », explique Nicolas Blies, d’a-BAHN.
Il cite aussi la version low cost de Google, le Cardboard, sortes de lentilles derrière lesquelles on met son smartphone. « L’expérience est moins immersive, mais ces lunettes ne coûtent que quelques dollars. D’ailleurs, le New York Times en a distribué des milliers à ses lecteurs pour leur faire expérimenter des reportages en VR. » L’avenir de la presse?
« Tout est encore à explorer »
Le Luxembourg est à la page en ce qui concerne la réalité virtuelle, comme le prouve le nouveau projet en ce sens de la société de production a_BAHN.
A_BAHN, société de production luxembourgeoise née en 2011 et installée à la plateforme créative 1535°C de Differdange depuis l’an dernier, a déjà par le passé bousculé le milieu de la production audiovisuelle grand-ducale avec le projet transmédia Soundhunters. Cette année, elle continue à innover et se lance dans la réalité virtuelle. Rencontre avec un de ses producteurs fondateurs, Nicolas Blies.
Le Quotidien : Après le transmédia, a_BAHN se lance donc dans la réalité virtuelle…
Nicolas Blies : La réalité virtuelle est une nouvelle corde à l’arc d’a_BAHN. Chez a_BAHN, on est des curieux. On aime les nouvelles histoires, les nouvelles expériences narratives. Donc, forcément, on s’est intéressés à la VR (NDLR : Virtual Reality ou réalité virtuelle). Je dois dire que, moi, au début j’étais très sceptique. Mais la première expérience VR que j’ai faite, The Ennemy , m’a fait comprendre qu’il y avait un véritable enjeu en termes de discours, de narration et qu’on pouvait aller vraiment très loin dans ce qu’on a envie de dire. J’ai donc commencé à m’y intéresser un peu. Ensuite, j’ai testé I Philippe , et là, j’ai vraiment compris à quel point ça pouvait être cinématographique. C’est donc parfait pour a_BAHN!
Vous allez bientôt tourner un film de réalité virtuelle au Luxembourg. Ce sera une première nationale. Pouvez-vous nous en parler?
On travaille avec un auteur qui s’appelle Vincent Ravalec (NDLR : prix de Flore en 1994 pour son roman Cantique de la racaille , également scénariste de cinéma – JCVD de Mabrouk El Mechri avec Jean-Claude Van Damme, une coproduction grand-ducale) qui voulait faire un projet interactif. Mais on s’est rapidement rendu compte que son projet fonctionnerait mieux en VR qu’en expérience web interactive. C’est une histoire de vengeance de membre d’un fan-club envers leur idole, une ancienne star de cinéma à qui ils reprochent d’avoir été prétentieuse et d’avoir provoqué un drame. Un drame qui lie finalement tous les membres du fan-club. Pendant 20 ans, ils ont gardé leur colère et leur détestation, en même temps qu’une réelle fascination.
C’est un peu Le Crime de l’Orient-Express .
Il n’y aura pas forcément de meurtre. Mais oui, on est dans un questionnement : qu’est-ce que la fascination? Qu’est-ce que la vengeance? Comment une même personne peut nourrir fascination et détestation envers une autre. Et comment tout ça peut créer des relations.
Et pourquoi faire ça en réalité virtuelle?
Parce que, vu l’histoire, on avait envie de jouer à fond sur un sentiment d’empathie, ce qui marche très bien avec la réalité virtuelle. À travers ce projet, l’idée est de chercher à comprendre ces gens qui nourrissent à la fois cette fascination et cette détestation. On se dit qu’en essayant de comprendre et en créant de l’empathie, on peut essayer d’être un peu plus ouvert envers ces personnalités complexes.
Ce sera donc une expérience passive.
Oui, on part sur une expérience passive. Mais bon, on est actuellement en phase d’écriture et de développement, il y a donc encore plein de challenges narratifs et technologiques à relever. On va, dans un premier temps, travailler sur un petit trailer pour tester les premiers essais mécaniques, voir ce qui fonctionne ou pas, aussi bien au niveau narratif que technologique, etc. Tout est encore à explorer, il faut essayer de nouvelles choses.
Le tournage est prévu pour quand?
On veut tourner le teaser cette année, le film lui-même, par contre, il faut tabler plus sur la toute fin d’année, voire 2017. Ce sera probablement une coproduction, mais tout sera tourné au Grand-Duché avec une équipe luxembourgeoise, même si on devra aller chercher des compétences aussi ailleurs.
Et la star en question, ce sera une star luxembourgeoise?
Non, aujourd’hui, Mathieu Kassovitz et Emmanuelle Béart ont fait part de leur intérêt pour le projet. À nous de transformer l’essai.
Long ou court métrage?
On est dans un format court. Aujourd’hui encore, il y a plein de contraintes qui limitent la réalité virtuelle à des formats courts : il y a, d’un côté, le budget, qui est beaucoup plus important que pour un film normal et, de l’autre, la réception par le spectateur. Tant qu’on n’a pas établi les codes narratifs et qu’on n’a pas analysé la fatigue que la VR va générer chez un spectateur, on ne va pas l’embarquer dans une expérience de 90 minutes!
Et quand est-ce que le spectateur pourra découvrir le film?
On prévoit une livraison, si tout va bien, à la fin de l’année prochaine.
Comme la VR est en plein boom, est-ce que, d’ici là, technologiquement, le projet ne sera pas déjà désuet?
Si la narration est solide, le projet tiendra quand même la route, mais c’est vrai que d’ici là plein d’autres projets vont naître. On est comme dans les premières années du cinéma. À un moment donné, tu commences un projet, ça demande deux-trois ans pour ce faire, et, entre-temps, tu n’es pas à l’abri que quelqu’un d’autre sorte The Jazz Singer (NDLR : considéré comme le premier film parlant de l’histoire), alors que tu en es encore au muet, ou un film en Technicolor, alors que tu fais encore du noir et blanc.
Et ce sera visible uniquement à travers un casque de réalité virtuelle ou aussi au cinéma?
Ben non, on ne pourra pas projeter ça à Utopolis. Ce n’est pas possible. À moins de mettre plein de casques à la disposition du public et de faire ça tous ensemble, mais chacun sera dans son immersion personnelle, dans sa réalité virtuelle.
Pablo Chimienti
Luxembourg, future capitale européenne… de la réalité virtuelle
Chez a_BAHN, on croit décidément à la réalité virtuelle. Au-delà de la production d’un film, les responsables se sont également lancés dans l’organisation, a priori en décembre, de FARR, le premier festival dédié à la réalité virtuelle du Luxembourg, mais aussi d’Europe. « Les casques sont sortis il y a quelques mois et ce n’est qu’il y a quelques semaines que la VR a commencé à s’ouvrir au grand public, c’est donc le moment de se lancer dans ce genre de projet », expliquent les responsables. « Et nous avons l’ambition de faire de Luxembourg la capitale européenne de la réalité virtuelle! » De quoi réjouir le gouvernement et son idée de nation branding.
Si rien n’est encore signé, les organisateurs imaginent, sur trois jours, une série de conférences de la part d’intervenants internationaux de renom, une compétition, une cérémonie de remise de prix, des animations diverses… et une dizaine de jours d’accès à la programmation pour le public. « On a commencé à communiquer dessus pour chercher des partenaires, il y a beaucoup de personnes très intéressées », ajoute-t-on chez a_BAHN. Un projet au budget évalué à 100 000 euros.
En attendant ce premier FARR, la réalité virtuelle va aller à la rencontre du grand public pendant le Luxembourg City Film Festival qui se tiendra du 25 février au 6 mars prochain, avec un «Virtual Reality Corner» qui prendra place au chapiteau Magic Mirrors qui sera installé dans la capitale pour l’occasion. « On va évangéliser. Tout simplement! », explique-t-on chez a_BAHN.
Déjà, en 1985
L ‘illusion virtuelle n’est pas née d’hier. Déjà, rappelle Nicolas Blies, « avec L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat (un film réalisé par Louis Lumière en 1895), des gens qui étaient dans la salle ont été bluffés au point de croire qu’un vrai train arrivait vers eux!»
En 1955, Morton Heilig, le pionnier de la VR, imaginait dans un article sur le cinéma du futur un «sensorama» sorte de cabine composée d’un écran stéréoscopique et de mécanismes pour diffuser des souffles d’air et des arômes vers l’utilisateur, le tout sans informatique!
Mais la VR a justement émergé avec l’essor de l’informatique, dans les années 80 et 90. Des prototypes naissent, mais hélas, la technologie est encore perfectible, à l’image du casque virtuel de Nintendo, qui n’était qu’en noir et rouge. Résultat, les investisseurs se sont détournés pour préférer un autre secteur prometteur, internet. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui : technologiquement, la VR est mûre!