Du rêve à la réalité: face à l’agriculture intensive, trois Luxembourgeois exploitent une parcelle sur les hauteurs de la capitale, avec un esprit pionnier. Bienvenue chez Terra.
La démarche de Terra est d’autant plus méritoire que le Luxembourg se classe parmi les plus mauvais élèves de l’agriculture biologique en Europe (3% de la production nationale…)
L’endroit est perché sur les hauteurs du Bambesch, en pleine nature, en face des immeubles du Limpertsberg. Quel étrange contraste. Ici, sur un terrain d’à peine deux hectares, a germé un rêve : celui d’un retour à la terre pour trois Luxembourgeois. Et ce rêve a un nom : la société coopérative Terra. Tout a commencé en 2014, lorsque Marko, Pit et Sophie se sont rencontrés au centre d’apprentissage écologique du Luxembourg (Centre for Ecological Learning Luxembourg, CELL). «Nous avions acquis des compétences environnementales, nous partagions une vision alternative de l’agriculture,explique Marko. Ne manquait plus qu’un terrain pour passer à l’action.»
Comment ont-ils obtenu une telle parcelle? «Peu de gens croyaient en notre projet de maraîchage au départ, se souvient Marko. En revanche, ceux qui nous ont soutenus y sont allés à fond.» Dont le propriétaire de ce terrain, qui joue le rôle de mécène pour une autre agriculture. Car il s’agit bien d’un concept unique. Produire bio certes, mais aussi inciter les habitants à se réapproprier la terre. Plus globalement, montrer qu’une autre société est possible. «Nous menons toute une série d’ateliers participatifs à la belle saison, explique Marko. Notre gestion de la terre tourne autour de deux concepts : la permaculture et la transition urbaine.»
La permaculture consiste à copier les mécanismes d’autorégulation de la nature. «On ne court même pas derrière un label bio, sourit Marko. Nous voulons faire « comme la nature », point barre.»
Produire en imitant la nature
La coopérative Terra montre concrètement que l’on peut s’affranchir des méthodes agressives (engrais chimiques, épuisement des sols, monoculture, etc.). «Nous cultivons de tout : choux, carottes, pommes de terres… Nos clients sont abonnés à l’année, pour nous permettre d’avoir une lisibilité dans la gestion de la terre. Ils viennent chercher leur panier chaque semaine. Nous proposons aussi des légumes oubliés, comme le radis noir ou le rutabaga, sorte de navet nutritif. Des produits plus exotiques enfin, qui s’adaptent à nos latitudes, comme des salades asiatiques.» Le tout, en copiant la nature. «Nos terrains sont nourris avec des composts que nous préparons sur place.» Des mélanges équilibrés entre acidité et éléments nutritifs gras, bien plus élaborés que le traditionnel purin d’orties (qui, ceci dit, est déjà un bon engrais naturel). Autre exemple de permaculture : les limaces ne sont pas dégommées aux produits chimiques, mais avec l’aide de canards! Ils sont une dizaine sur le terrain, visiblement friands des gastéropodes.
Quant au volet de la transition urbaine, nous entrons dans un domaine plus politique. «L’agriculture contemporaine a clairement montré ses limites, se lance Marko. Elle est basée sur le gâchis, puisqu’il n’y a pas de lisibilité sur la demande et que la concurrence est exacerbée. Elle épuise les sols. Et enfin, ce qui est assez triste, elle ne permet même plus aux paysans de vivre de leurs efforts. Sans les subventions publiques, ils ne se tireraient pas un salaire. Alors que nous, sur nos deux hectares, sans aucune subvention, nous dégageons quatre salaires décents.» Partant de ce constat, Marko estime qu’il est grand temps d’amplifier le mouvement des villes en transition.
Relocaliser l’agriculture
Né en Angleterre, cet élan citoyen a gagné des mégapoles aussi vastes que Detroit. Il repose sur un socle précis : face aux crises, relocalisons l’essentiel, c’est-à-dire, l’agriculture. Consommons localement, favorisons le fermier du coin qui peut être le voisin. «Nous essayons d’essaimer avec nos ateliers, glisse Marko. À la belle saison, nous organisons carrément des portes ouvertes le dernier dimanche de chaque mois. Nous avons beaucoup de familles. On oublie que des choses simples, comme planter des patates, peuvent devenir un jeu en famille.»
Sur le site de Terra, le visiteur découvre une installation autonome en électricité (panneaux solaires), dont les sols sont irrigués grâce aux calculs d’inclinaison des pentes et dont l’eau, d’ailleurs, provient de récupérateurs placés sur les toits. Prochain projet? «Creuser une mare, pour augmenter nos capacités de stockage de l’eau, montre Marko. Et puis, parce qu’une mare, c’est beau.» Combien de gens peuvent parler de beauté sur leur lieu de travail aujourd’hui? Décidément, l’aventure de Terra a tout d’un rêve.
Hubert Gamelon