Le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin n’est pas rentable : c’est la conclusion sans appel de l’analyse commandée par le ministère italien des Transports, qui pourrait aboutir à un abandon du projet et envenimer encore davantage les relations entre Paris et Rome.
Contesté depuis ses débuts il y a près de 30 ans mais déjà bien entamé, le Lyon-Turin divise profondément la coalition populiste au pouvoir à Rome. La Ligue (extrême droite) de Matteo Salvini est très favorable à ce projet cher à sa base de petits entrepreneurs, tandis que le Mouvement 5 Étoiles (M5S, antisystème) de l’autre vice-Premier ministre, Luigi Di Maio, y est farouchement opposé, y voyant un gaspillage d’argent public.
La coalition a donc commandé une analyse coûts-bénéfices avant de se prononcer sur sa poursuite ou son arrêt. Ce rapport de 79 pages, remis le 9 janvier au ministre italien des Transports, Danilo Toninelli, puis le 5 février à l’ambassadeur de France à Rome, a été rendu public mardi. Les experts y concluent que cette ligne à grande vitesse « présente une rentabilité très négative », estimant ses coûts supérieurs de 7 milliards d’euros à ses bénéfices d’ici à 2059.
Un solde négatif de 7 milliards
La commission évalue à 7,9 milliards d’euros les coûts futurs d’investissement et la gestion de l’infrastructure. Concernant le transport des marchandises, l’impact sera négatif à hauteur de 463 millions d’euros, les bénéfices du passage de la route vers le train étant selon eux loin de compenser la baisse des recettes pour l’État (péages routiers, accises…). En revanche, concernant le trafic passagers, l’analyse fait état d’un « bénéfice positif de 1,3 milliard », ce qui porte le solde négatif à 7 milliards dans le cadre d’un « scénario réaliste de croissance de l’économie et du trafic ».
«Les chiffres sont impitoyables»
« Comme chacun peut désormais le voir tout seul, les chiffres (…) sont extrêmement négatifs, je dirais impitoyables », a jugé le ministre Toninelli, membre du M5S et opposé au projet. Mais « l’évaluation négative (…), je veux le dire de manière claire, n’est pas contre l’Union européenne ou contre la France. Elle doit être vue plutôt comme un élément précieux d’information », a-t-il ajouté, en soulignant que la décision finale reviendrait « au gouvernement dans sa pleine collégialité ».
Il y a quelques jours, Danilo Toninelli avait souligné que cette publication devait être le « point de départ d’un dialogue » entre Rome et Paris, avec l’organisation rapidement d’une « rencontre bilatérale ». Mais ce dossier risque surtout d’être un point de discorde supplémentaire entre les deux capitales, à couteaux tirés ces dernières semaines.
Un risque pour l’avenir de la coalition au pouvoir
La France a rappelé jeudi son ambassadeur en Italie après une série de déclarations jugées « outrancières » de responsables italiens, une rare escalade entre ces deux piliers de l’UE. Le rapport risque aussi de créer de nouvelles tensions au sein de l’exécutif, au risque, selon certains commentateurs, de le faire chuter, tant l’opposition est forte entre la Ligue et le M5S dans ce dossier.
Le composition et la méthodologie de la commission sont également très contestées. Selon des parlementaires du Parti démocrate (PD, opposition de centre-gauche), cinq de ses six membres, dont son président Marco Ponti, ont exprimé dans le passé des jugements négatifs sur le projet. Et le mode de calcul fait aussi grincer des dents du côté de la Ligue.
L’UE a déjà injecté 500 millions d’euros dans le projet
Côté français, le Comité pour la transalpine Lyon-Turin juge pour sa part que l’analyse est basée sur un « étonnant parti pris ». « Tout en minorant les bénéfices environnementaux colossaux de l’infrastructure, le Pr Ponti inscrit dans la colonne ‘coûts’ le manque à gagner pour l’État italien que constituerait une diminution importante des taxes sur le carburant et du produit des péages autoroutiers. Pour résumer, moins il y aura de poids lourds et de voitures dans les Alpes, plus le rapport coûts-bénéfices du Lyon-Turin sera négatif. Un raisonnement qui vaut son pesant de CO² », fustige le comité. L’Union européenne, qui a déjà injecté environ 500 millions d’euros dans le projet, a souligné récemment que sa suspension « mettrait en question l’accord de subvention en cours, et pourrait conduire à sa résiliation et au recouvrement total ou partiel des sommes déjà versées ».
AFP