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Fiscalité des frontaliers : oui, il faut mieux partager, selon le Conseil de l’Europe


Le Congrès des pouvoirs locaux, l'un des trois piliers du Conseil de l'Europe s'est réuni mardi à Strasbourg (Photo : DR).

Le Conseil de l’Europe a adopté ce mardi un projet de recommandation important concernant la fiscalité transfrontalière. En résumé : il y a toutes les raisons de partager les charges publiques liées à la main d’oeuvre frontalière, entre pays de travail et territoires de résidence.

Le rapport à la base de la recommandation relève à ce titre les carences qui existent entre le Luxembourg et ses voisins sur le sujet, alors que l’économie du pays tourne avec 47% de main d’oeuvre frontalière, le plus fort taux d’Europe.

La recommandation a été adoptée à la majorité des 47 pays qui composent le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, la ramification locale du Conseil de l’Europe.

Cette recommandation offre une hauteur de vue nouvelle dans un débat trop souvent crispant sur notre frontière. « Ce rapport doit être apaisant, il doit nous donner envie de travailler ensemble à nos frontières », a expliqué Claude Haegi, ancien maire de Genève.

« Poser correctement le problème »

Karl-Heinz Lambertz (Photo : DR)

Karl-Heinz Lambertz (Photo : DR)

Cette recommandation est basée sur un rapport du Belge Karl-Heinz Lambertz, qui s’est lui-même appuyé sur une étude pilotée par l’Institute for Transnational and Euregional de Maastricht (ITEM).

Karl-Heinz Lambertz a souligné en préambule que son rapport n’apportait pas de « solution toute faite », mais a le mérite de « poser le problème correctement, ce qui est déjà bien ».

Il faut toutefois le souligner : pour notre frontière, cette recommandation valide assez nettement les demandes récentes des élus lorrains et allemands, en faveur d’une compensation financière du Luxembourg envers leurs territoires, afin de mieux partager le coût public de l’accueil des frontaliers (infrastructure, crèche, éducation etc.)

Maire de Metz : « Une relation économique à sens unique »

Dominique Gros, le maire de Metz (Photo : DR)

Dominique Gros, le maire de Metz (Photo : DR)

Le maire de Metz, est  intervenu à la tribune en premier pour décrire la situation entre la Lorraine nord et le Luxembourg : «104 000 frontaliers franchissent la frontière tous les jours. C’est une relation économique à sens unique : le Luxembourg ne repartit pas les recettes des impôts sur le travail et laisse à la charge des territoires frontaliers presque 50% de sa main d’oeuvre. »

Ce système nourrit la compétitivité fiscale du Luxembourg dans un cercle in fine vicieux à la frontière : « plus le temps passe, plus il y a de frontaliers dans l’économie luxembourgeoise, plus le coût public de la main d’oeuvre est externalisé sur les régions frontalières, plus le Luxembourg peut baisser son imposition et donc attirer des nouvelles entreprises, dont une part significative (56%) sont en fait montées elles-mêmes pas des frontaliers… », a expliqué le maire de Metz.

Cela prive les territoires frontaliers du levier de la fiscalité locale sur les entreprises, et explique notamment une situation de stagnation économique, alors qu’il faut accueillir (paradoxe!) toujours plus d’actifs …travaillant ailleurs. « Cette Europe des angles morts et des non-dits est inéquitable », a tancé le maire de Metz, expliquant concevoir l’Europe comme un territoire de réels échanges gagnants pour tous, dont les compensations (=reverser une part de la masse salariale brute des frontaliers aux communes voisines, pour qu’elles se mettent dans la roue du moteur économique central) seraient une véritable illustration.

Maire de Steinsel : « préférer des investissements ciblés »

Jean-Pierre Klein, le maire de Steinsel (Photo : DR)

Jean-Pierre Klein, le maire de Steinsel (Photo : DR)

Un responsable Luxembourgeois a lui aussi pu prendre la parole, en l’occurrence le maire de Steinsel, Jean-Pierre Klein. Il a expliqué que le rapport manquait d’objectivité à son goût, et que « la discussion est incomplète. Le Luxembourg investit dans les infrastructures en dehors de ses frontières pour les frontaliers. Nous avons par exemple prévu d’investir 120 millions d’euros sur le rail côté français. Nous offrons également des bourses d’études aux enfants de frontaliers, et pour les plus petits, si les parents se décident à les mettre dans des crèches au Luxembourg, nous payons des chèques services importants. Nous préférons des investissements ciblés et directs, et il y a des maires français qui se félicitent de ça. »

Ancien maire de Genève : « les compensations ne sont que justice, pas faire un cadeau »

Claude Haegi, ancien maire de Genève et président de la Fedre (Photo : DR).

Claude Haegi, ancien maire de Genève et président de la Fedre (Photo : DR).

Certes. Mais les investissements luxembourgeois paraissent bien pâles, comparés au système de compensation genevois décrit par Claude Haegi au micro, pour un bassin d’actifs « pendulaires » comparable au  nombre actuel de frontaliers entre la Lorraine et le Grand-Duché (environ 100 000 frontaliers) : « sur ces dix dernières années, le canton de Genève a reversé 2,27 milliards d’euros aux communes des départements voisin de l’Ain et de la Haute-Savoie […] Ce ne fut que justice de le faire et pas un cadeau. Qui pourrait contester, comme le relève avec pertinence le rapporteur, qu’une personne frontalière, comme sa famille, génère des charges dans le pays de son lieu d’habitation et dans celui de son travail, et que la fiscalité doit être partagée équitablement en fonction de cette réalité ? »

Un élu allemand frontalier en Suisse : « tant que je paye des impôts, bonne nouvelle ! »

Un élu résolument positif ! (Photo : DR)

Un élu résolument positif ! (Photo : DR)

D’autres intervenants ont pris le micro pour évoquer des situations délicates similaires ailleurs, comme entre l’Allemagne et la Hollande, avec les travailleurs saisonniers qui viennent de l’Est.

Un élu allemand frontalier en Suisse a pour sa part joué sur l’humour : » une fois je payais tous mes impôts en Allemagne, puis j’ai payé une partie de mes impôts en Suisse et en Allemagne… Bon, c’est parfois complexe. Mais comme me le dit mon conseiller fiscal : ‘tant que tu payes des impôts, c’est une bonne nouvelle !’  »

Projet adopté à une écrasante majorité

Quoiqu’il en soit, le projet de recommandation a été adopté à une écrasante majorité. Il exhorte clairement à « promouvoir le codéveloppement en tant qu’objectif commun, en vue de soutenir la croissance économique, et à répartir équitablement les recettes fiscales qui en découlent en zone frontalière, et veiller à ce qu’elles se traduisent à l’échelle locale par une amélioration de la qualité de la vie ».

De quoi donner un nouvel élan (apaisé nous avons dit !) à la thématique à la frontière ?

Hubert Gamelon

À lire dans notre édition de mercredi, notre dossier complet.