Le gouvernement a mis sa menace à exécution: la manifestation parisienne prévue jeudi par les opposants à la loi travail a été interdite, une mesure exceptionnelle qui a aussitôt provoqué un tollé dans le monde syndical et dans les rangs de la gauche.
Après deux jours de tractations avec les syndicats, le préfet de police de Paris a finalement annoncé mercredi matin l’interdiction du défilé. Les «représentants des syndicats refusant catégoriquement la tenue d’un rassemblement statique et formulant ensuite des propositions alternatives d’itinéraires» qui n’ont pu faire l’objet d’un consensus, le préfet de police «considère qu’il n’a pas d’autre choix que d’interdire la tenue de la manifestation», a indiqué la préfecture de police dans un communiqué.
Les secrétaires généraux de la CGT et de Force ouvrière, Philippe Martinez et Jean-Claude Mailly, vont être reçus à 11h00 par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. Dans la foulée, les sept organisations à l’initiative de la nouvelle journée de mobilisation (CGT, FO, FSU, Solidaires, Unef, UNL et Fidl), ont annoncé une conférence de presse à 12h30 au siège de la CGT à Montreuil, près de Paris.
Depuis «1958, on n’a pas eu d’interdiction de manifestation pour une confédération syndicale (…). Si c’était le cas, la France rejoindrait le peloton de certains pays qu’on ne peut pas qualifier de démocratie», avait souligné Jean-Claude Mailly, un peu plus tôt, en fustigeant sur RMC «un Premier ministre enferré dans son autoritarisme». «La prochaine étape, c’est peut-être qu’il nous arrête», avait-il ironisé.
«Les syndicats sont beaucoup plus souples que ne l’est le Premier ministre. Puisque nous, nous faisons des contre-propositions sur le texte et sur les manifestants», avait estimé le patron de FO en rappelant que les syndicats contestataires avaient proposé «deux autres trajets, plus sécurisés, plus courts» pour manifester jeudi. «Je considère, et je pèse vraiment mes mots, que c’est une faute historique», a réagi le député socialiste Christian Paul, chef de file des «frondeurs». «Un acte extrêmement grave», a renchéri Aurélie Filippetti, Pierre Laurent (PCF) exprimant de son côté sa «stupéfaction».
Une décision « mortifère » pour la gauche
Dès mardi, plusieurs députés socialistes s’étaient inquiétés qu’un gouvernement de gauche puisse interdire une manifestation. L’interdiction ferait de la CGT «le bouc émissaire et la victime de la gauche au pouvoir» et serait «mortifère pour l’histoire et notre culture de gauche», avait mis en garde le député Pascal Terrasse. Marine Le Pen, la présidente du Front national, a dénoncé sur son compte Twitter une «atteinte grave à la démocratie».
Après les violences du 14 juin, le ton s’était nettement durci entre gouvernement et syndicats, en lutte depuis mars contre une réforme du droit du travail qu’ils jugent trop favorable aux employeurs et dangereuse pour les droits des salariés. Les uns et les autres se sont renvoyé la responsabilité des incidents et dégradations provoquées par les casseurs. Le Premier ministre Manuel Valls a reproché à la CGT son «attitude ambiguë», Philippe Martinez et Jean-Claude Mailly mettant en doute les consignes données aux forces de police.
François Hollande et le gouvernement ont alors brandi la menace d’une interdiction de manifester dans la capitale. «Ne faisons pas comme si la forme de la manifestation était devenue un enjeu de la démocratie», a déclaré la ministre de la Santé Marisol Touraine en estimant que les syndicats avaient tendance à tout tourner «en opposition politique».
Jeudi, pour la nouvelle journée de mobilisation contre la loi travail, examinée au Sénat jusqu’à vendredi avant un vote le 29, manifestations et arrêts de travail sont programmés un peu partout dans le pays. Ainsi c’est à Bordeaux que le secrétaire général de la CGT défilera, avant de célébrer le 80e anniversaire du Front populaire à Mérignac, une décision prise avant la polémique sur la manifestation parisienne, selon la CGT de Gironde.
Le Quotidien/AFP