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Luxleaks : la fuite n’est pas colmatée


En 2014, l'ICIJ avait illustré les LuxLeaks par un tampon de l'administration des Contributions directes et des boîtes postales. Le nombre de rulings baisse mais reste encore important à l'échelle européenne.(Photo : DR)

Un an après l’explosion de l’affaire LuxLeaks, les tentatives de l’Europe d’établir une transparence fiscale commencent à payer, même si les spécialistes ne sont pas dupes.

À la fin du mois, la commission spéciale TAXE du Parlement européen présentera ses conclusions sur l’affaire LuxLeaks, un an après sa révélation.

C’était le soir du 5 novembre 2014. Un soir comme les autres au Luxembourg, jusqu’à l’explosion d’une bombe médiatique. Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) choisissait cette date, dans la torpeur de l’automne, pour passer à l’attaque. Simultanément, plusieurs grands titres de la presse internationale partageaient une information qui secoue encore les arcanes du pouvoir européen : le fisc luxembourgeois avait conclu, entre 2002 et 2010, plusieurs centaines d’accords fiscaux avec des cabinets d’audit pour le compte de nombreux clients internationaux. Le Monde en France, Le Soir en Belgique, The Guardian au Royaume-Uni… Le Luxembourg faisait pour la première fois les gros titres de tous les médias.

La liste, stupéfiante, prenait la forme d’une carte des multinationales du monde entier. IKEA, le géant suédois de l’ameublement, Amazon, le monstre américain de la distribution en ligne, la Deustche Bank, Apple, Heinz, Pepsi… Tous les plus grands étaient passés par le bureau des sociétés numéro 6 de l’administration fiscale luxembourgeoise pour négocier avec un certain Marius Kohl des taux d’imposition ultra-avantageux. Depuis, le préposé a disparu de la circulation, départ à la retraite oblige.

La stratégie de la transparence

Pris dans le tourbillon des Luxembourg Leaks, devenus depuis les LuxLeaks, le Grand-Duché fait le dos rond, choisit alors de laisser passer l’orage, avant d’adopter une position de transparence qu’il n’a cessé de rappeler depuis. Retranchée, la classe politique locale n’a alors d’autre choix que de défendre la patrie. Le Premier ministre, Xavier Bettel, va vite choisir la communication appropriée, qu’il a encore rappelée la semaine dernière lors d’une visite à la London School of Economics, au Royaume-Uni.

«Le Luxembourg ne vit pas dans le secret bancaire. Nous l’avons abandonné et nous avons dit oui à la transparence. Je veux être le Premier ministre d’un pays où nous excellons dans certains secteurs, où nous savons faire des choses légales. Je ne veux pas être le Premier ministre d’un pays où l’on fait des choses qui sont interdites dans les autres.» Une stratégie qui répond aux interrogations des députés européens de la commission spéciale TAXE, mise en place juste après les révélations, en charge de rédiger un rapport sur l’affaire.

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Depuis un an, ils sont confrontés au refus des pays européens de communiquer sur leurs pratiques fiscales. Comme s’ils avaient tous quelque chose à cacher. «Ce qui est important pour nous, c’est d’avoir des règles qui s’appliquent à tout le monde», continue Xavier Bettel. Et de mettre fin à LuxLeaks pour parler d’un problème européen. «LuxLeaks, c’était aussi FranceLeaks, BelgiqueLeaks, HollandeLeaks. Il y a une douzaine de pays en Europe qui pratiquent les rescrits fiscaux. Ils font tous la même chose.»

Sorti de la liste des paradis fiscaux par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Luxembourg se serait-il racheté une virginité? Pas nécessairement. Car derrière les discours de façade, l’ingiénierie de la finance continue son travail de fourmi.

Réunis à Lima, au Pérou, début octobre, les ministres des Finances du G20 ont endossé le BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), le plan de lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales élaboré par l’OCDE. Le Luxembourg fait partie de ces pays signataires.

Mais pour Sven Giegold, eurodéputé allemand membre de la commission spéciale TAXE, cela ressemble à de la poudre aux yeux. «Ce genre de texte fait surtout la joie des avocats fiscalistes. Cela leur garantit des heures de travail facturées pour proposer des alternatives d’optimisation fiscale aux multinationales. Ils ont toujours un temps d’avance sur le législateur.»

Deux camps s’opposent

Dans le monde de la finance, le temps n’est pas relatif et certains mondes avancent plus vite que d’autres. Ceux qui tentent de lutter contre les paradis fiscaux le savent et se satisfont de leurs petites victoires. «En 20 ans, j’ai constaté que les choses changeaient. Lentement, mais elles changent», ose Sven Giegold.

Car s’il ne fallait retenir qu’une seule chose de ce premier «anniversaire» de l’affaire LuxLeaks, c’est peut-être cette inversion du paradigme. L’impunité de la finance semble disparaître petit à petit. Pendant des décennies, les multinationales n’ont pas craint l’opprobre de l’opinion publique et ont pratiqué l’optimisation fiscale à visage quasiment découvert. Aujourd’hui, elles savent qu’elles ne sont que soupçons et craignent pour leur réputation. Une petite avancée pour le camp des anticapitalistes ou tout simplement pour ceux qui croient en la justice fiscale.

Et ils ne sont pas majoritaires. Au Parlement européen, les députés n’ont pas obtenu assez de votes pour organiser une commission d’enquête. Ils n’ont pas non plus obtenu l’accord de la plénière pour prolonger la mission de la commission spéciale TAXE.

Car au sein même des représentants des citoyens européens se déroule une bataille entre des libéraux qui croient en la concurrence fiscale et une gauche qui croit en l’égalité devant l’impôt. Autant dire que l’affaire LuxLeaks n’est que la partie émergée de l’iceberg et qu’elle n’a pas fini de faire couler de l’encre.

Christophe Chohin