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[Théâtre] «Luonnollisesti», de la forêt au plateau


Les mots sont de Stéphane Ghislain Roussel, mais Marja-Leena Junker se raconte elle-même dans un monologue au naturel et en deux temps. Soit la vie d’une comédienne que le travail en ville n’a jamais arrachée à ses forêts finlandaises.

Il est de ces comédiennes et comédiens qui écrivent leur propre histoire sur scène, en même temps qu’ils écrivent celle du théâtre. Au Luxembourg, qui mieux que Marja-Leena Junker pour illustrer ce propos? À l’automne 2020, une petite fenêtre ouverte sur les théâtres en temps de pandémie avait permis sa mise en scène foudroyante d’Hedda Gabler.

Fin 2023, pour les cinquante ans du théâtre du Centaure – dont elle fut directrice administrative dès 1984 avant d’en assurer la direction artistique de 1992 à 2015 –, elle fut Vassili Vassilievitch, l’acteur vieillissant qui revoit défiler sa longue et impressionnante carrière, dans Le Chant du cygne de Tchekhov.

Quelques mois plus tôt, en septembre, Marja-Leena Junker recevait le Nationalen Theaterpräis, qui honorait son œuvre et son engagement pour le théâtre luxembourgeois. Mais la comédienne et metteuse en scène n’a pas attendu une récompense pour prouver et affirmer, encore, que «le théâtre, c’est toute (s)a vie»…

Avec Luonnollisesti («naturellement», en finnois), un monologue de Stéphane Ghislain Roussel qu’elle interprètera sur la scène de l’Ariston à partir de lundi, Marja-Leena Junker interprète un double d’elle-même, «une comédienne qui partage son quotidien entre une vie entourée de la nature et une autre en ville, pour travailler au théâtre».

«C’est une histoire avant tout», prévient-elle : l’idée émane de l’auteur et metteur en scène qui, après Golden Shower (2013) et Magdalena Bay (2016), retrouve la comédienne avec une pièce écrite spécifiquement pour elle. «C’est comme un cadeau qu’il m’a fait : écrire pour quelqu’un, ça n’arrive pas très souvent! J’étais heureuse et intéressée, intriguée aussi, de voir ce que Stéphane allait faire.»

D’autres envies de théâtre sont venues enrichir l’idée à la base de la pièce : écrire une ode à la forêt, une réflexion sur la dépendance mutuelle entre l’homme et la nature… Tout convergeait à nouveau vers Marja-Leena Junker, restée très liée à son village natal de Padasjoki, en Finlande, où «la nature est encore intacte, pratiquement vierge, avec une immense forêt et de très beaux lacs». Alors, Stéphane Ghislain Roussel est allé lui rendre visite par deux fois dans ce «pays lointain», «pour connaître ma vie et ma relation à la nature», les deux fils conducteurs de la pièce.

L’écologie, «notre priorité»

Arrivée au Luxembourg en 1966, à 21 ans, Marja-Leena Junker s’est rapidement jetée dans les bras du théâtre, en suivant les cours d’art dramatique au Conservatoire de la Ville, puis en suivant dès ses débuts, en 1973, la nouvelle aventure de son mentor, Philippe Noesen : le théâtre du Centaure.

Au Luxembourg, donc, on connaît surtout sa vie citadine. «Quand je suis en ville, la nature me manque, confie-t-elle pourtant. Quand je m’absente longtemps de mon paysage natal, elle me manque terriblement. J’ai besoin de la nature, autant que j’ai besoin de la ville et de ses théâtres!» La comédienne met ainsi sur un pied d’égalité le «bouillonnement culturel» de la capitale et «l’émerveillement» que procure «un réveil entouré d’arbres, avec le chant des oiseaux».

Sa conscience écologique est innée, en quelque sorte, bien que l’artiste soit particulièrement «admirative de l’engagement» et de la «discipline stricte» de son metteur en scène – qui a bien atterri à Padasjoki… mais sans prendre l’avion ni la voiture. «Je crois que du point de vue de l’écologie aussi, la Finlande intéressait bien Stéphane», sourit Marja-Leena Junker.

Avec trois quarts de son territoire occupés par des forêts, la Finlande est aussi l’un des pays à la politique écologique la plus ambitieuse au monde. «À l’approche des élections européennes, l’écologie est sur toutes les lèvres en Finlande. Mais, observe la comédienne, c’est comme si le débat s’éloignait étrangement des soucis de la nature, alors même que les effets de l’humain sur notre planète sont de plus en plus visibles.» Et de plaider pour que la sauvegarde de la planète soit «notre priorité, devant tous les autres problèmes du monde».

«Comme n’importe quel rôle»

Ce qui fait de ce projet une aventure «passionnante» et «différente» pour Marja-Leena Junker, c’est son concept : une heure avant chaque représentation, prévue à 20 h, la pièce commence… en pleine nature, au Centre nature et forêt Ellergronn, avec une installation sonore immersive de la compositrice Émilie Mousset, qui a enregistré en Finlande des sons dans la forêt, et qu’elle fera dialoguer avec les sons environnants.

Un voyage qui continue à l’Ariston. «Délivrer un message au public, et le faire de manière personnelle et originale, c’est la raison pour laquelle on fait du théâtre, assure Marja-Leena Junker. On parle des choses qui nous passionnent, qui nous concernent et qui nous sont proches; mais cette fois, la majorité des gens est concernée aussi.»

Suivant son cheminement de pensée, la comédienne remarque par ailleurs que «la forêt a toujours été un décor de théâtre et, dans nombre de pièces classiques, elle porte beaucoup de symboles. En retour, le théâtre ne s’exclut pas non plus des choses de la nature, même s’il se déroule en intérieur.»

En deux ans, le travail de Stéphane G. Roussel a soulevé beaucoup de questions «sur notre rapport à la nature, la façon dont elle influence ou pas notre vie», mais aussi «sur ce qu’est la vie d’une comédienne», déclenchant encore d’autres conversations sur le théâtre avec Marja-Leena Junker, qui souligne qu’elle n’a «pas écrit une ligne» du texte.

«Avec cette pièce, explique-t-elle, on se débarrasse de la rigueur biographique. Il y a des choses que Stéphane a vues en Finlande, d’autres que je lui ai racontées, d’autres qui sont inventées…», s’amuse-t-elle. Avant de conclure : «C’est mon histoire, oui, mais c’est mon histoire de comédienne sur scène, ici et maintenant, avec ce texte. Comme pour n’importe quel rôle!»

J’ai besoin de la nature, autant que j’ai besoin de la ville et de ses théâtres!

La pièce

Dans Luonnollisesti, le public est convié à un monologue interprété par Marja-Leena Junker. Le récit explore les tensions intimes propres à son existence à la fois au cœur de la «civilisation» et en retrait, au pied des arbres, autant qu’il propose un hommage au métier d’actrice.

Plus qu’une simple fiction documentaire, ce spectacle propose une méditation sur nos écosystèmes, mettant en lumière les liens d’interdépendance entre notre humanité et la forêt. C’est vers le silence, le mythe, la faune et la flore finlandaises, que ce spectacle s’oriente et nous emmène.

Avant la représentation, une immersion sonore composée par Émilie Mousset dans la réserve naturelle Ellergronn est proposée à celles et ceux qui le souhaitent.

Première le 27 mai à 19 h.
Centre nature et forêt Ellergronn
et Ariston – Esch-sur-Alzette.

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