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Tanger, paradis des grands noms du jazz


Le cosmopolitisme de Tanger puise ses racines dans son statut d'ancienne zone internationale, administrée par plusieurs puissances coloniales de 1923 jusqu'en 1956, quand le Maroc a pris son indépendance. (Photo : afp)

La ville de Tanger, au Maroc, a une longue histoire avec le jazz, depuis qu’elle a inspiré de nombreux musiciens américains, de Max Roach à Dexter Gordon. Elle a été désignée par l’Unesco pour accueillir aujourd’hui la journée internationale du Jazz.

Au siècle dernier, Randy Weston, Idrees Sulieman ou Max Roach ont traversé l’Atlantique pour découvrir Tanger, devenue le repère des grands jazzmen américains. Un héritage qui est célébré aujourd’hui dans la métropole du nord du Maroc, lors de la journée internationale du Jazz. «La ville a eu un pouvoir d’attraction fascinant sur une vague d’intellectuels et musiciens. Ce n’est pas pour rien qu’un écrivain disait qu’il y avait toujours un paquebot qui chauffait à New York en partance pour Tanger», explique Philippe Lorin, fondateur d’un festival de jazz dans la grande ville portuaire.

Cette année, la cité, bordée par la Méditerranée et l’Atlantique, a été désignée ville hôte de la journée internationale du Jazz, par l’Unesco. Depuis samedi, elle abrite des conférences et spectacles en plein air qui culmineront ce soir dans un grand concert mondial avec le pianiste Herbie Hancock et les bassistes Marcus Miller et Richard Bona ou le guitariste Romero Lubambo.

L’apport de la «Beat generation»

Le cosmopolitisme de Tanger puise ses racines dans son statut d’ancienne zone internationale, administrée par plusieurs puissances coloniales de 1923 jusqu’en 1956, quand le Maroc a pris son indépendance. Son rayonnement a été alimenté par le passage d’écrivains et poètes du mouvement littéraire de la «beat generation» mais aussi de jazzmen afro-américains «en quête de leurs racines africaines», souligne Farid Bahri, auteur de Tanger, une histoire-monde du Maroc. «Tanger était un havre de liberté comme l’est la musique jazz», note Philippe Lorin. «La présence des musiciens américains à Tanger était également liée à une diplomatie américaine très active», complète l’historien marocain.

Le célèbre pianiste Randy Weston a posé ses valises durant cinq ans à Tanger après une tournée dans 14 pays africains en 1967, organisée par le département d’État américain. Le virtuose de Brooklyn a joué un rôle déterminant dans la construction du mythe de la ville du détroit, à laquelle il a dédié son album Tanjah (1973). «Randy était un homme d’exception aimable et respectueux, il a beaucoup donné à la ville et ses musiciens», confie Abdellah El Gourd (photo), un maître gnaoua (musique spirituelle originaire d’Afrique de l’Ouest, introduite par les descendants d’esclaves), ami et collaborateur du pianiste américain décédé en 2018.

Tanger était un havre de liberté comme l’est la musique jazz

Un autre moment charnière de cette épopée est l’enregistrement en 1959 d’une session musicale avec le vénérable trompettiste Idrees Sulieman, le pianiste Oscar Dennard, le contrebassiste Jamil Nasser et le batteur Buster Smith au studio de la Radio Tanger International (RTI) à l’invitation de Jacques Muyal. Ce Tangérois d’à peine 18 ans, animateur d’une émission de jazz sur RTI, produit alors, avec les moyens du bord et sans le savoir, un album de référence qui circulera dans les cercles de jazz avant son édition sous le titre The 4 American Jazzmen in Tangier en 2017.

Randy Weston et Abdellah El Gourd vont de leur côté repousser les limites de la création, devenant les précurseurs de la fusion entre sonorités jazz et gnaoua. «La barrière de la langue n’a jamais été un problème, car notre communication se faisait à travers les gammes. Notre langage était la musique», raconte Abdellah El Gourd, dans une salle de répétition aux murs tapissés de photos souvenirs de tournées internationales notamment avec Weston et le saxophoniste Archie Shepp. Une longue collaboration qui donnera naissance 25 ans plus tard à l’album The Splendid Master Gnawa Musicians of Morocco (1992).

«C’était une belle époque»

En 1969, le pianiste américain décide d’ouvrir un club de jazz baptisé African Rythms Club au-dessus du célèbre cinéma Mauritania. «On répétait là-bas, Randy y invitait ses amis musiciens. C’était une belle époque», se remémore le maâlem (maître) de 77 ans, qui a parcouru le monde aux côtés de Weston. Puis en 1972, l’Américain se lance dans la folle aventure d’organiser un premier festival de jazz à Tanger avec des invités de marques : le percussionniste Max Roach, le flûtiste Hubert Laws, le contrebassiste Ahmed Abdul-Malik, le saxophoniste Dexter Gordon… mais aussi Abdellah El Gourd. «C’était une expérience assez unique, car c’était la première fois qu’on jouait devant un public aussi nombreux», se souvient le musicien, jusqu’alors habitué aux performances gnaouas réservées à l’époque à des cercles restreints.

L’expérience ne durera qu’une seule édition mais inspirera Philippe Lorin pour créer, près de trois décennies plus tard, le festival Tanjazz, organisé chaque année en septembre.

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