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L’Irlande de Glen Hansard sur la scène de l’Atelier


Glen Hansard : «Voir un groupe sur scène, c'est vraiment le découvrir et voir ce qu'il a dans le ventre.» (photo Danny Clinch)

Glen Hansard, musicien irlandais aux multiples facettes, sera de passage dimanche soir à l’Atelier pour un concert à ne pas manquer.

Vous avez joué dans pas mal de festivals cet été. Préférez-vous ce cadre aux concerts traditionnels dans une salle avec votre public ?

Glen Hansard : Je crois qu’une partie de moi n’a pas envie d’aller dans les festivals, mais c’est une formidable opportunité de découvrir d’autres groupes, d’être connecté avec d’autres musiques. Pourtant, finalement, on ne rencontre pas tant de groupes que ça. Quand on est sur la route et qu’on joue beaucoup, on n’a pas vraiment le temps. C’est très bien d’écouter l’album d’un groupe à la maison, mais voir un groupe sur scène, c’est vraiment le découvrir et voir ce qu’il a dans le ventre. C’est très important.

C’est comme aller à une exposition d’artistes, comme à la National Gallery à Londres par exemple. C’est une bonne idée, si vous avez le temps, d’aller voir un tableau de Klimt, de prendre le temps de le regarder pendant dix minutes, puis de partir. Si vous voyez trop de choses, vous êtes surstimulé, et c’est ce qui se passe en festival. Les gens viennent à votre concert tout en se disant qu’ils sont sûrement en train de rater autre chose de mieux sur une autre scène. C’est le public de festival. Alors qu’évidemment à un concert les gens ont acheté leur ticket à l’avance, ils se font une joie de cette soirée, ils la réservent pour vous. Et que vous soyez bon ou mauvais, ils vont rester au moins une heure avec vous. C’est donc bien différent. En festival, c’est plus difficile, car il faut donner plus. Le public y est moins attentif.

Vous êtes fortement engagé dans la cause des sans-abri : vous jouez dans la rue à Dublin à chaque Noël pour des ONG. En quoi votre engagement envers les autres est-il si important pour vous ?

Pour moi, c’est une question humanitaire. J’ai grandi dans une famille avec des problèmes d’alcool, avec des sans-abri. Pour moi, c’est quelque chose de personnel, ça n’a rien de politique. Ma première mission en tant que bénévole – j’avais 15 ans – a été de travailler dans un refuge pour sans-abri. La façon dont on traite ces gens, dont les politiques traitent les gens qui ont des revenus très bas, ça a toujours été un sujet qu’on ne peut pas ignorer en Irlande. Surtout quand ça concerne des proches, comme c’est mon cas.

Il faut toujours trouver des façons créatives d’approcher les sans-abri. Alors que je jouais dans la rue, une personne célèbre a joué avec moi et a tendu un chèque de 100 000 euros, vous pouvez deviner de qui je parle (NDLR : Bono, de U2, est en effet un habitué), mais il y a tellement de gens à aider que c’est une goutte d’eau… Si vous donnez cette somme d’un coup, cela ne sert à rien, il faut donc être créatif pour utiliser cet argent de la meilleure façon qui soit. Donc, c’est très généreux de signer un chèque, mais il faut aussi savoir quoi faire de cet argent.

Il y a ce chef à Washington, José Andrés. Il a fait construire une immense cuisine moderne où il nourrit des milliers de sans-abri, avec de petits groupes de sans-abri en cuisine qu’il forme pour qu’ils deviennent de vrais cuisiniers et qu’ainsi ils trouvent un emploi. Ce genre d’initiative est vraiment intéressant, car cela permet de créer quelque chose au-delà d’une simple aide ponctuelle.

La situation est très difficile en ce moment en Irlande. Un ami m’a appelé récemment. Il vivait depuis quinze ans dans un appartement, à 700 euros de loyer mensuel, et il a appris la veille que son loyer allait passer à 1 200 euros d’un coup, sans explication. Le propriétaire a voulu se rapprocher des prix du marché, disant que s’il n’était pas content, il trouverait un autre locataire. Il n’y a rien de criminel à cela, cependant cela crée des sans-abri à une échelle endémique. Nous n’avons jamais connu ça depuis la Grande Famine.

Revenons à la musique. Votre dernier album, « Didn’t He Ramble », sorti en juillet 2015, fait la part belle aux cuivres. Vous arrivez à le transposer sur scène ?

Oui, bien sûr… Avec des cuivres ! J’ai trois musiciens avec des cuivres, d’un côté, et trois avec des cordes, de l’autre. Cela donne un ensemble de six musiciens sur scène en plus du groupe habituel. Cela fait naître beaucoup de possibilités, c’est une grande liberté que j’apprécie particulièrement.

Vous êtes aujourd’hui en tournée en solo, mais vous avez récemment retrouvé les musiciens de votre ancien groupe, The Frames. Comment avez-vous vécu ces retrouvailles ?

En fait, ils sont toujours avec moi. On se produit sous un autre nom, c’est tout! Cela permet d’alterner entre mes chansons et deux ou trois chansons de The Frames. Cela dépend de mon humeur ! Je fais en sorte de choisir la setlist selon l’ambiance de l’endroit où nous sommes, et puis parfois elle évolue pendant le concert.

Cette tournée vous laisse peu de temps pour vous. Est-ce que vous continuez d’écrire ?

Il se trouve que je suis plus productif quand je suis très occupé, comme c’est le cas en tournée. Quand les choses se calment, j’ai tendance à ne plus rien faire justement. Quand on est dans ce flot continu d’activités, les pièces du puzzle se rassemblent, c’est étrange, mais c’est comme ça. C’est une année très spéciale pour moi, car je joue dans des salles prestigieuses où je ne me suis jamais produit auparavant (Carnegie Hall à New York, opéra de Sydney). L’année prochaine sera sûrement beaucoup plus calme (rire).

Vous êtes un artiste expérimenté maintenant. Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération ? Y a-t-il des artistes irlandais que vous appréciez particulièrement ?

L’Irlande produit des artistes fantastiques. On a tendance à dire que si l’on n’a pas percé dans les deux ans, c’est foutu, mais ce n’est pas vrai. Parmi les artistes que j’apprécie beaucoup, il y a Lisa O’Neill qui écrit de merveilleuses chansons, ainsi que Conor O’Brien du groupe Villagers, qui est très talentueux. Il voit les choses selon un point de vue dont l’Irlande a besoin actuellement.

Entretien avec Audrey Somnard