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[Exposition] Les objets impossibles d’Hisae Ikenaga


Propulsée «artiste luxembourgeoise», Hisae Ikenaga a désormais les honneurs d’une première exposition monographique au Grand-Duché, à la Konschthal.(Photo : christoph weber/konschthal)

La Konschthal dévoile la première exposition monographique au Luxembourg dédiée à Hisae Ikenaga, qui repense nos objets du quotidien avec une touche d’étrange et d’ironie.

Installée au Luxembourg peu de temps avant la pandémie, Hisae Ikenaga est devenue l’une des artistes les plus demandées du Grand-Duché depuis qu’elle a remporté le Luxembourg Encouragement for Artists Prize (LEAP) fin 2020 – initialement prévues au printemps, la remise du prix et l’exposition des quatre finalistes avaient été reportées à novembre.

«Je ne vis pas au Luxembourg depuis longtemps et je crois que le LEAP est une bonne opportunité pour que les gens découvrent mon travail», avait alors déclaré l’artiste mexicaine aux origines japonaises, dont le travail consiste à repenser des objets du quotidien, du gobelet à la table en formica en passant par la chaise pliante et le tabouret, avec une pointe d’humour et en leur ôtant toute fonctionnalité. Il n’en fallait pas plus pour taper dans l’œil du galeriste Alex Reding, cocréateur (avec les Rotondes et le cabinet Allen & Overy) et conseiller du prix LEAP, qui la représente aujourd’hui.

«Membres fantômes»

Propulsée «artiste luxembourgeoise», Hisae Ikenaga a donc désormais les honneurs d’une première exposition monographique au Grand-Duché. C’est la Konschthal qui offre une plongée fascinante dans le langage créatif de l’artiste, où le fait main s’oppose à la production industrielle et la réflexion ludique à l’usage quotidien. Commissaire de l’exposition, Charlotte Masse explique avoir trouvé le titre, «Phantom Limbs», en ayant été «frappée par la perte de fonctionnalité» des objets devenus, entre les mains de l’artiste, «des fantômes d’eux-mêmes».

En médecine, l’expression, qui se traduit en français par «Membres fantômes», désigne la sensation qu’un membre amputé est toujours relié au corps. L’élément absurde est effectivement très présent chez Ikenaga, dont le travail évoque tout à tour Duchamp, Brancusi, Richard Serra ou l’univers des peintres Kasimir Malevitch et Frank Stella. «À travers des œuvres à la lisière du design, de l’art graphique et de la sculpture, abonde la commissaire, elle interroge la fonction même de l’objet : son rôle, son mode de conception et son rapport à l’humain.»

«Dessiner dans l’espace»

De médecine, il est question aussi avec l’une des pièces maîtresses de l’exposition, l’installation Industrial Visceral, réalisée en partie au Bridderhaus au printemps 2023 puis exposée en novembre à la Berlin Art Week : sur des tables en inox, scalpels et autres instruments de médecine sont disposés à côté de sculptures évoquant des viscères ou des éclats d’os, dans un bric-à-brac artistique qui «ressemble autant à une cuisine qu’à un laboratoire scientifique», observe Charlotte Masse. En définitive, poursuit la commissaire, on peut assimiler l’œuvre à «l’atelier de l’artiste», cette dernière «démultipliant les composants» du travail originel pour en livrer une version grand format, à laquelle sont intégrés ses Racks et d’autres œuvres sans titre réalisés à partir de 2021. Le concept était déjà là : des sculptures en céramique blanche représentant des boyaux, posés ou suspendus sur des structures en acier.

Hisae Ikenaga s’est aussi amusée à «dessiner dans l’espace» de la Konschthal avec Home Tubular Line, imposant labyrinthe métallique en trois dimensions qui rappelle sa série des Furnished Lines, mais dont il ne reste ici que la structure. Entre Home Tubular Line et Industrial Visceral, installées chacune à une extrémité de la première galerie d’une exposition à la scénographie brillamment pensée (et ses murs d’accrochage que le visiteur peut traverser, façon fantôme), quelques-unes des pièces les plus évocatrices d’Ikenaga. Dont celles de sa série Subtle Oblivion, White, Wood Keys (2016) et Red Walking Stick (2016), découvertes aux Rotondes à l’époque du LEAP.

«Anomalies génétiques»

Si le bois a longtemps été prisé par l’artiste (on en trouve des traces sur les étagères ou les éléments en contreplaqué qu’elle expose), Charlotte Masse a elle «choisi de mettre en valeur cet aspect de son travail d’une façon différente». À l’exception de cette chaise pliante, pliée, encadrée et accrochée au mur – la plus ancienne pièce d’Ikenaga exposée à la Konschthal, réalisée en 2012. Ou encore de ces pages de magazines de décoration, dans lesquelles l’artiste a découpé «tout ce qui n’était pas en bois». La commissaire s’est surtout intéressée aux liens que fait Ikenaga entre l’industriel et le viscéral, donc, symbolisés par le travail de la céramique, auquel est dédié le deuxième espace d’exposition.

On entre dans ce dernier comme dans un «musée antique» présentant des séries de récipients en céramique coupés en deux, donc inutilisables. Une «anomalie génétique» qui se retrouve un peu partout dans l’exposition (des gobelets modelés sur le même principe sont par exemple intégrés à d’autres œuvres), mais qui profite d’une autre ambiance dans cette salle aux lumières basses. Avec les pots exposés au mur ou les séries d’amphores (Black Artichoke, 2024) réalisées avec le geste de l’artisan, Hisae Ikenaga détourne leur fonction première pour en faire des «objets d’étude». En tout, seules cinq sculptures, exposées côte à côte, sont entières et intactes. L’ironie du sort a voulu qu’au lieu de subvenir à un usage pratique, elles deviennent des curiosités muséales.

Jusqu’au 25 août. Konschthal – Esch-sur-Alzette.

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