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[Exposition] «My Last Will» : l’art en héritage


Que va-t-on léguer à la postérité ? Au Casino, 32 artistes se penchent sur cette question incertaine et complexe, à travers des propositions disparates.

C’est une question existentielle aussi vieille que l’humanité, une quête qui agite l’homme depuis qu’il se sait mortel. Face à la fatuité et la fragilité de son existence, coincé entre ses ancêtres et ceux qui lui succéderont, laisser une trace, aussi minime soit-elle, est devenu la seule échappatoire à la disparition totale des tablettes de l’histoire et des mémoires.

Le duo M+M (Marc Weis et Martin De Mattia), vu à plusieurs reprises au Casino (qui lui a consacré une exposition en 2015, «7 Tage»), s’est penché il y a quelques années sur l’idée, source inépuisable d’incertitudes et d’angoisses.

Peut-être est-ce en raison de l’état du monde, les guerres, le climat qui s’effiloche, la pandémie, la mondialisation à tout crin, le boom du numérique, la montée des extrêmes ou le repli sur soi qui a amené le tandem à compiler différentes humeurs, tournant autour de la même question, si simple et pourtant lourde de sens  : «que restera-t-il?».

C’est d’abord à Chemnitz (ville située dans la Saxe, en Allemagne, capitale européenne de la culture en 2025) que s’est matérialisé ce «memento mori» hétéroclite, poussant sur un tapis jaune tape-à-l’œil, contraste nécessaire, selon M+M, vu la gravité qu’implique à première vue le sujet.

Le binôme n’est d’ailleurs pas avare en symboles. Il y a notamment cette épaisse reliure, étape préalable à toute production qu’ont accepté de remplir les 32 artistes invités à évoquer leur(s) «dernières volontés». À l’intérieur se mêlent des textes, dessins, collages et autres photographies qui se découvrent à l’aide d’un coupe-papier, comme lors d’un acte notarial.

Plus de 300 pages plus loin, on en sait plus sur leurs intentions qui, autour du même tourment (que peut-on laisser aux futures générations?), prennent de multiples orientations (sociales, politiques, familiales, identitaires…). Ici, l’art évite le nombrilisme, et si une minorité des participants évoquent l’héritage à travers leur travail et leur pratique, les autres voient plus loin, comme dans une forme de responsabilité collective sous-jacente.

Compte à rebours

Dès l’entrée, dans une nouvelle allégorie, le compte à rebours est lancé avec l’artiste espagnol Santiago Sierra. Son «Death Counter», comme son nom l’indique, recense sur un grand panneau LED le nombre de décès dans le monde, et ce, à partir du début du vernissage ce soir.

Il conviendra toutefois de ne pas s’étrangler avec un petit four pour apprécier le reste de la visite qui, malgré l’aspect fourre-tout, suit certaines tendances. La famille reste ainsi un sujet fort, et sûrement celui traité avec le plus d’imagination.

Les deux jumelles Raeven, qui avaient traumatisé le public en 2010, déjà au Casino, avec leurs œuvres sur l’anorexie, s’inventent ici une troisième sœur, clone robotique (et cafardeuse) censé réconforter la survivante quand l’autre sera définitivement partie. Et tandis que le collectif italien MASBEBO rend hommage aux mères (en plans rapprochés), transformant un vieux cinéma en lieu de recueillement, Erik van Lieshout cherche à se réconcilier avec son père qui, «généreux», a donné ses dessins et ses peintures à des amis, sans l’en avertir.

Bien sûr, qui dit aujourd’hui transmission suggère l’état de la nature et son corollaire militant. Dans ce sens, le satirique duo PPKK (à prononcer «pipi-caca») a composé une chanson codée qui, dans un avenir lointain, signalera l’existence des dépôts nucléaires contaminés, en indiquant le lieu avec précision (en l’occurrence ici, le site d’Onkalo en Finlande).

Une installation qui, face au danger de cette bombe à retardement, invite le public à se relaxer. Pourra-t-on ainsi envisager l’avenir avec un peu plus de sérénité? L’artiste colombien Iván Argote, lui, l’imagine sans plus aucun monument hérité de l’époque coloniale pour défigurer le paysage, symbole de «pouvoir et d’autorité». Pour sa part, Lara Almarcegui, pour les besoins de son projet «Mineral Rights», a acquis les droits miniers d’une zone naturelle intacte près d’Oslo (Norvège), la préservant alors de toute forme d’exploitation industrielle.

Mort en scène

Et puisqu’il faut bien rigoler en attendant la mort, certaines œuvres brillent par leur esprit cocasse. En premier lieu, celle de Cesare Pietroiusti qui, farceur, promet aux personnes qui le désirent de leur faire parvenir un dessin, mais seulement après son trépas, et ce, grâce à des «moyens de production surnaturels».

De son côté, le Suisse Olaf Breuning se tire le portrait en mode «selfie», mais le cliché, répété six fois, s’estompe progressivement pour ne laisser que des traits indistincts puis finalement un émoji d’un pouce jaune levé, qui semble signifier que l’artiste est parvenu à son but : disparaître, et avec lui, son avatar sur les réseaux sociaux. Enfin, Keren Cytter, artiste «en colère», s’illustre dans une surprenante séance de psychothérapie où, même allongé sur le divan, il est difficile de vider son sac et de confier ses dernières volontés.

Parmi les vinyles, les signe zodiacaux, le mouvement Black Lives Matter, les estampes «immorales» ou des artefacts plus ou moins ambigus, on découvre le film Shaping de Su-Mei Tse, seule artiste luxembourgeoise au cœur de cette assemblée internationale inspirée, dans lequel elle rappelle sa connexion avec la porterie et le bouddhisme, où seul importe la conscience de l’instant présent.

Face à un avenir en pointillé, aux valeurs aujourd’hui encore inconnues, autant en effet maximiser sur ce que l’on peut encore contrôler. Dans ce sens, au-delà des murs du musée, Christodoulos Panayiotou va ainsi mettre en forme la vertigineuse question du rapport de la mort à la scène. Une autre manière d’anticiper l’inéluctable.

«My Last Will» Casino – Luxembourg.
Vernissage ce soir à 18 h. Jusqu’au 8 septembre. 

«Dying on Stage» TNL – Luxembourg.
Demain à 19 h.

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