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Juncker auditionné sur les Panama Papers : « Ne pas juger ma crédibilité sur le passé »


Jean-Claude Juncker a répondu aux députés européens durant une heure et demi, ce mardi après-midi à Bruxelles. (photo AFP)

Soumis ce mardi après-midi au feu des questions des eurodéputés de la commission d’enquête sur les Panama Papers, Jean-Claude Juncker a souvent botté en touche et juré son ignorance passée – voire sa « négligence » – quant à l’ampleur des pratiques d’évasion fiscale via le Luxembourg.

Du passé faisons table rase. Comme il l’avait fait après l’affaire LuxLeaks,  Jean-Claude Juncker s’est surtout obstiné à mettre en avant les réformes impulsées depuis deux ans par sa Commission, plutôt que de répondre sur sa responsabilité passée en tant qu’ancien Premier ministre et ministre des Finances du Grand-Duché. Reprenant ainsi la même ligne de défense que celle de l’actuel gouvernement luxembourgeois.

Sélectif dans les questions appelant une réponse – certaines « seront envoyées par écrit » -, Jean-Claude Juncker s’est défendu d’être « schizophrène » de par son nouvel habit de chevalier de la justice fiscale : « Je suis en faveur de la concurrence fiscale (ndlr : au sein de l’UE), mais elle doit être équitable et ne l’a pas toujours été », a-t-il déclaré, concédant seulement à demi-mots avoir peut-être « négligé cette dimension » dans le passé.

Pour la deuxième fois, Jean-Claude Juncker était invité à s’exprimer devant une commission parlementaire sur les initiatives de sa Commission pour lutter contre l’évasion fiscale, mais aussi sur sa politique en la matière lorsqu’il était Premier ministre du Luxembourg, entre 1995 et 2013.

« Une véritable révolution »

Dix-neuf députés européens de la commission PANA ont pu le cuisiner à tour de rôle durant une heure et demie. Face à des questions précises et souvent virulentes, notamment sur le rôle actif de la place financière luxembourgeoise dans l’établissement de sociétés offshore, Jean-Claude Juncker est souvent resté vague et un brin arrogant, balayant critiques et accusations, fidèle à son attitude depuis la révélation du scandale LuxLeaks qui avait coïncidé avec sa nomination à la tête de l’exécutif européen en novembre 2014.

« Ne doutez pas de l’ardeur de la Commission européenne dans la lutte contre l’évasion fiscale », a-t-il évacué d’entrée, rappelant les douze directives produites en la matière par la Commission depuis deux ans, que ce soit sur l’échange automatique des rescrits fiscaux (en cause dans l’affaire LuxLeaks), l’obligation du reporting pays par pays, ou encore la relance de l’Arlésienne de l’Assiette commune consolidée sur l’imposition des sociétés (Accis). « Nous avons mis en œuvre une véritable révolution, celle de la transparence fiscale contre l’économie de l’ombre », s’est-il félicité, saluant au passage les enquêtes menées par la commissaire Vestager (notamment sur plusieurs rescrits jugés illégaux conclus avec le Luxembourg).

Panama Papers : une nouvelle directive en juillet

En réponse au scandale des Panama Papers, le président de la Commission a également rappelé qu’une treizième proposition serait présentée en juin ou en juillet, qui concernera spécifiquement le rôle des intermédiaires en Europe dans l’établissement de sociétés offshore servant la fraude. Des banques, fiduciaires et autres avocats d’affaires du Luxembourg étaient apparus en première ligne dans les Panama Papers.

Reste à savoir si toutes ces directives seront bel et bien appliquées, comme l’a souligné un eurodéputé en réclamant un rôle de contrôle accru de la Commission européenne. Jean-Claude Juncker a acquiescé et s’est dit par exemple favorable à ce que Bruxelles reçoive une copie des rescrits échangés entre les autorités fiscales. Instaurés depuis le début de l’année, les premiers échanges devraient avoir lieu « cet été », a indiqué le Luxembourgeois.

« Nous vivions à une autre époque »

Ce « Jean-Claude nouveau » (comme l’a moqué un eurodéputé), chantre de la justice fiscale, n’a pas été épargné par par les critiques des eurodéputés, notamment sur le rôle du Grand-Duché dans l’évasion fiscale. Invariablement, Juncker a répondu, soit qu’il n’était pas vraiment au courant des pratiques de la place financière luxembourgeoise ni de celles de son administration ; soit qu’il s’agissait du passé. Un passé qu’il préfère ne pas commenter.

Question : « Pourquoi certains États comme les pays-Bas et le Luxembourg sont-ils davantage concernés ? » Juncker : « Cette mention est liée au passé. Or la donne a changé, le monde a changé depuis. Et cela concerne plus de pays que ceux que vous mentionnez. » Circulez, il n’y a rien à voir.

Un autre eurodéputé insiste : « On savait bien en Allemagne qu’il était bon de mettre son argent au Luxembourg. Est-ce par les Panama Papers que vous avez appris cela ? Pourquoi le Luxembourg a-t-il refusé les échanges d’informations ? » Juncker : « Difficile de vous expliquer en deux minutes pourquoi le Luxembourg a opté pour l’imposition à la source et pas pour l’échange automatique… (…) Nous vivions à une autre époque. » C’était pourtant il y a quelques années à peine. Et de conclure en pirouette : « Je ne sais pas combien d’argent entre au Luxembourg à partir de l’Allemagne. »

« Vous n’assumez pas vos actes passés »

L’ancien Premier ministre luxembourgeois a poursuivi sur le même mode, un peu plus tard : « Il n’y a pas lieu de chercher des responsabilités dans les milieux politiques. Ceux-ci ne sont pas au courant des agissements des intermédiaires. Le Premier ministre et le ministre des Finances du Luxembourg ne sont pas au courant de tout. Avec ces révélations (ndlr : des Panama Papers), on a découvert les voies que ces intermédiaires empruntent. »

« Vous n’assumez pas vos actes passés », lui a lancé l’Allemand Sven Giegold (Verts/ALE). Juncker a une nouvelle fois balayé ce passé d’un revers de main : « Je souhaite que ma crédibilité ne soit pas entamée par le passé, mais que le travail de la Commission européenne soit jugée à l’aune de ce qu’elle fait aujourd’hui. »

Réinterrogé sur les rescrits fiscaux très avantageux conclus entre les multinationales et l’administration luxembourgeoise, à l’époque où il dirigeait le pays, le Luxembourgeois a répété son refrain de la responsabilité des fonctionnaires du fisc : « Parfois, quand vous êtes à l’étranger, des gens qui seraient intéressés par la possibilité de venir au Luxembourg vous posent des questions. (…) Mais je n’ai jamais été impliqué dans un arrangement fiscal avec une entreprise donnée. C’était le rôle du service à la tête duquel j’étais. (…) Je n’ai jamais discuté d’une mesure fiscale avec une entreprise », a-t-il ajouté. « C’est un principe clair au Luxembourg, mais pas partout dans l’Union européenne », a-t-il poursuivi.

Drague fiscale à Madère : « L’ambassadeur n’était pas en mission »

Même réponse lorsque l’Allemand Fabio de Masi le questionne sur la drague fiscale opérée en 2012 par Paul Schmit, alors ambassadeur du Luxembourg au Portugal, auprès d’entreprises basées à Madère. A-t-il suivi des instructions ? Juncker : « Il n’était pas en mission. Il relève de la responsabilité du ministre des Affaires étrangères et je ne vois pas comment M.Asselborn aurait pu confier une telle mission, c’est impossible. »

Comme Marius Kohl tamponnait les rulings des LuxLeaks à la chaîne de sa seule initiative, le diplomate aurait donc agi de son propre chef en faisant de la retape fiscale sur l’île portugaise. L’initiative paraît ambitieuse pour un homme réputé très droit avec le périmètre de sa fonction.

Impossible aussi d’expliquer la disparition, puis la réapparition, de la fameuse page manquante, puis retrouvée, du rapport Krécké sur les rulings au Luxembourg, qui avait été réclamée l’an dernier par la commission du Parlement européen sur l’affaire LuxLeaks : « Je vais me renseigner pour savoir comment cette page manquante est arrivée sur mon bureau… »

Majorité qualifiée

Le président de la Commission s’est par ailleurs déclaré favorable à l’introduction de la majorité qualifiée, et non plus l’unanimité, en matière de décisions fiscales en Europe. «  »Il faudra absolument prévoir la majorité qualifiée, sinon on n’avancera jamais. »

Pour autant, il s’est dit sceptique quant à une harmonisation fiscale au sein de l’UE : « Une harmonisation intégrale me semble une ambition extravagante. Rapprocher les modes d’imposition, les assiettes et les taux me semble plus réaliste. »

Jean-Claude Juncker s’est enfin fait tancer à plusieurs reprises sur le projet d’une liste noire commune des paradis fiscaux, dans laquelle ne figurent ni des pays comme le Panama (!) ni aucun Etat membre européen. « La liste sera complétée d’ici la fin de l’année », a-t-il indiqué. Mais sans le Luxembourg ni aucun pays de l’UE : « Car si nos directives sont mises en œuvre, les problèmes seront réglés. » Ben tiens.

Sylvain Amiotte

3 plusieurs commentaires

  1. l’Europe une monnaie l’Euro 27 fiscalités 27 salaires minimums différents.
    La plus grosse arnaque des multinationales et la finance mondiale. BLACK Rock edges funds Rothschild Rockefeller Goldman Sachs and co.

  2. Les multinationales doivent déclarer leurs revenus dans les états où ils les réalisent, une solutin simple à un problème que l’on complique à l’infini. Cela permettrait de taxer les revenus dans le pays concerné – et, parallèlement, de baisser le VAT qui atteint des sommes faramineuses.

  3. Donc le President de la Commission en fonction avoue avoir contourné les directives européennes…et il reste en fonction!