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Des «minerais de sang» dans vos smartphones


La terrible situation dans les mines en RDC a été abordée. (Photo : AFP)

Le bureau d’information du Parlement européen et Fairtrade Luxembourg ont organisé une conférence-débat sur la commercialisation des minerais en Afrique au détriment des droits de l’homme.

Jeudi dernier, l’auditorium du Cercle Cité accueillait la conférence «La vérité derrière nos smartphones», organisée par le bureau d’information du Parlement européen et Fairtrade Luxembourg. Le but : lever le voile sur les pratiques meurtrières liées à l’extraction, en Afrique, des minerais servant à la fabrication de nos téléphones.

Qui parmi vous n’a pas de smartphone? Et qui parmi vous a déjà demandé à son fournisseur d’où il vient exactement?» C’est avec ces mots que Christoph Schroëder, chef du bureau d’information du Parlement européen, a interpellé jeudi dernier, l’auditoire venu assister à la conférence «La vérité derrière nos smartphones». Organisée par le Parlement européen et Fairtrade Luxembourg dans l’auditorium du Cercle Cité, la conférence avait pour but de dévoiler une vérité en réalité bien sordide : celle du commerce des minerais dits «de sang», impliqué dans des conflits destructeurs et criminels en Afrique des Grands Lacs, et en République démocratique du Congo particulièrement.

Car nos téléphones portables, nos tablettes, nos ordinateurs et autres gadgets technologiques, sont fabriqués à base de tantale (dont la matière première est appelée «coltan, l’or blanc»), d’étain, de tungstène et d’or. Pour extraire ces minerais, des hommes, des femmes et des enfants travaillent chaque jour sous terre, au péril de leur vie.

Pour en parler, dans une salle bondée, face à près de 120 personnes, les quatre intervenants, Pierre Jacquemot, Paul Nsapu Mukulu, Claude Lanners, et Claude Turmes, se sont succédé, faisant ensuite place au débat, modéré par Thierry Labro, journaliste.

Les mines, théâtre de guerre

Et c’est la voix tremblante que le premier d’entre eux, Pierre Jacquemot, – président du GRET-Professionnels du développement solidaire et du Groupe initiatives (France), maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris et chercheur associé à l’IRIS, ancien ambassadeur de France au Kenya, Ghana et République démocratique du Congo – a exposé les faits, «des images dramatiques», d’après ses souvenirs. À l’est de la RDC, se trouvent les mines où travaillent près de 200 000 «creuseurs». Issus d’anciennes populations agricoles, ces paysans, ces victimes et prisonniers de guerre, ces hommes, mais aussi ces femmes et ces enfants «plus à même à entrer dans les conduits» peinent à survivre.

Chaque jour, ils ramassent le coltan par kilos, contre une rémunération oscillant entre cinq et dix euros par semaine, et ce dans des conditions de travail déplorables. Les mines, contrôlées par l’armée congolaise, sont le théâtre d’une guerre permanente qui rime avec les mots «exploitation», «viols», «meurtres», «tortures» et connivence d’un «certain nombre de Congolais et Rwandais qui s’enrichissent crapuleusement». Autres coupables? Les multinationales qui ne respectent pas la réglementation en vigueur pour venir à bout de ce problème.

Car «des alternatives existent», selon Claude Lanners – directeur des achats stratégiques du groupe Ceratizit et ancien président de l’International Tungsten Industry Association – venu «parler de la manière dont les entreprises sont confrontées au problème». Pour lui, «il n’était pas envisageable que le logo de Ceratizit soit taché de sang». C’est la raison pour laquelle il se rend lui-même «sur place, pour contrôler l’importation des matières premières utilisées par l’entreprise».

Mais «comment être sûr de la non-implication du commerce de minerais dans le financement des conflits?», «comment assurer un réel contrôle?», «que faire pour assurer la sécurité des travailleurs?», «pourquoi ne pas moderniser les mines?», «comment le consommateur peut-il agir pour ne pas soutenir les entreprises complices?» Lors du débat, les questions fusent, et restent parfois sans véritable réponse.

Des petits pas incertains

Pour Claude Turmes – député européen groupe des Verts/Alliance libre européenne – «les choses avancent, même de manière imparfaite. La Commission européenne a pris l’initiative de voter un règlement. Le Parlement l’a amélioré. Il demande le contrôle obligatoire de ce que l’on appelle « diligence raisonnable », pour les importateurs d’étain de tungstène, de tantale et d’or et de leurs minerais provenant de zones de conflits ou à risques. Les grandes entreprises européennes de plus de 500 employés sont encouragées à communiquer leurs pratiques d’approvisionnement. L’obligation du devoir de diligence pour les importateurs sera effective en janvier 2021.
Nous avançons doucement, mais il faut comprendre que dans les capitales règnent un sale lobbying qui fait parfois reculer les choses. Il faut inciter les ministres à Paris, à Londres, à Berlin, à faire en sorte que l’Europe ne recule plus jamais».

Pour Paul Nsapu Mukulu – secrétaire général adjoint pour l’Afrique de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme –, «il est urgent que la réglementation européenne soit harmonisée avec la loi américaine Dodd-Frank (voir encadré). Il est d’ailleurs préoccupant depuis trois mois d’imaginer un recul de la part des États-Unis. Donald Trump pourrait très bien faire machine arrière. La situation est grave, et il est indispensable que l’Europe joue un rôle déterminant dans le processus. On compte six millions de morts. Quatre femmes sont violées toutes les cinq minutes. Les Congolais ne peuvent plus attendre».

Et d’ajouter : «Mais il est important de souligner que de plus en plus de multinationales prennent conscience du problème et s’engagent dans la cause qui est celle de tous. Il y a une prise de conscience générale depuis quelque temps. Le géant Apple, par exemple, va dans notre sens. Il est important également d’informer les populations, d’inciter la société civile à se sentir concernée. Cette conférence est une heureuse initiative qu’il faut encourager et multiplier.»

Sarah Melis

La réglementation

Le Dodd-Frank Act est une loi américaine votée en 2010.

L’article 1 502 de la loi prévoit que les entreprises cotées en Bourse aux États-Unis doivent vérifier si certains minerais utilisés dans leurs produits contribuent au financement de groupes armés alimentant le conflit en République démocratique du Congo et dans les pays voisins. Il contraint les groupes privés à divulguer l’origine des minerais utilisés dans leurs produits à la Commission des opérations de bourse (Security Exchange Commission, SEC). Il s’est traduit concrètement par le retrait des opérateurs américains de l’est du Congo, remplacés depuis par des comptoirs d’achat chinois.

Un règlement européen entrera en vigueur en 2021 prévoyant un devoir de diligence relatif aux chaînes d’approvisionnement pour les importateurs de certains minerais et métaux originaires de zones de conflit ou à haut risque. Il prévoit une vérification volontaire des groupes privés sur l’origine des minerais qui entrent dans la composition de leurs produits, notamment des équipements électroniques, aéronautiques et les téléphones portables, qui ne fonctionneraient pas sans le coltan, l’étain, l’or ou le tungstène.