Fils d’un père anglais et d’une mère néerlandaise, Robert Mann, naturalisé en 2009, rêve d’être le premier joueur luxembourgeois de badminton à devenir professionnel. Et ce, à 30 ans…
Le Quotidien : Vous souhaitez devenir le premier joueur luxembourgeois de badminton à passer professionnel. Pourquoi se lancer, à 30 ans, dans une telle aventure?
Robert Mann : Ça peut paraître tardif, ça l’est sans doute, mais je n’ai pas eu l’occasion de commencer plus tôt. Mais c’est quelque chose qui me trottait dans la tête depuis des années.
Pourquoi ne pas l’avoir fait avant?
Après le lycée, j’ai poursuivi mes études universitaires en Angleterre. À Loughborough, qui est réputée pour accueillir beaucoup de sportifs de haut niveau. Mais avant d’y aller, comme je voulais jouer dans l’équipe universitaire, j’ai travaillé un an pour pouvoir me payer un stage de deux mois au Danemark, le meilleur pays d’Europe en badminton. Je jouais dans l’équipe 2 de l’université, la première étant réservée quasiment d’office aux Anglais. En 2007, après ma licence en sciences du sport et management, je suis revenu au Luxembourg avec l’idée de tenter l’aventure professionnelle. La fédération m’a dit qu’il me fallait intégrer le cadre élite de l’armée. Ce qui n’était pas possible.
Qu’avez-vous alors fait?
J’ai travaillé durant deux ans comme coach personnel dans une salle de fitness. Ça m’a beaucoup plu, mais je me suis rendu compte que ce qui m’intéressait vraiment c’était de pouvoir aider plusieurs personnes en même temps. Travailler, par exemple, sur des campagnes au niveau gouvernemental. J’ai donc pris la décision de partir à Maastricht pour préparer un master intitulé «Sports and Physical Activity Interventions». Je jouais un peu moins, mais j’avais la chance de pouvoir m’entraîner une fois par semaine avec Yuhan Tan, n° 1 belge à l’époque, qui lui était étudiant en médecine.
C’était très bien pour maintenir la condition. Ensuite, j’ai fait mon stage au Laboratoire de recherche en médecine du sport à Luxembourg, qui aujourd’hui s’appelle Luxembourg University of Health. J’ai participé à une étude sur les coureurs et, plus précisément, les blessures liées à la course à pied. En 2010, Daniel Theisen, le responsable du laboratoire, recherchait des doctorants pour divers projets et j’ai passé quatre années là-bas. Tout en restant étudiant de l’université de Maastricht. J’ai passé ma soutenance en juillet dernier. Après ça, j’avais envisagé de voyager un peu, mais j’ai repris les entraînements de badminton avec le cadre national.
Vous aviez le droit de l’intégrer?
J’y suis depuis l’âge de 11 ans. On devrait avoir des conditions un peu plus strictes, mais quand tu es dans le cadre et que tu t’entraînes régulièrement, tu y restes. J’ai une très bonne relation avec Horgiono, l’entraîneur, que je connais depuis 20 ans. J’y allais deux fois par jour.
Fin juillet, il me dit : « Tu n’as pas envie de jouer quelques tournois internationaux, booster ton classement ou disputer les Jeux olympiques? » Je ne comprenais pas ce qu’il me disait jusqu’à ce que je me rende compte qu’il ne rigolait pas… Le lendemain, je lui ai dit que j’étais intéressé. Mais que si on se lançait là-dedans, il fallait le faire de manière professionnelle.
Ce projet est-il un peu fou?
J’ai fini mes études et je n’ai pas de responsabilité, pas d’enfant. Et puis, c’est ma dernière chance d’entamer cette carrière sportive à laquelle j’aspire depuis si longtemps. Généralement, à 32-34 ans, les gars arrêtent de jouer au niveau international.
Que dit votre fédération?
La réunion début août fut très positive. On s’est revu lundi soir afin d’évoquer le développement du projet. Ils sont très contents de ma progression au classement mondial. Maintenant, on est à la recherche de soutiens financiers afin de pouvoir continuer de jouer.
Ukraine, Bulgarie, Norvège, Écosse, Pérou, Brésil… Avez-vous déjà estimé le coût de votre saison?
Oui. Pour les 26 tournois prévus d’ici fin avril, ça tournerait aux alentours des 2 000 euros.
Cela demande pas mal d’organisation…
J’essaie de m’occuper d’un maximum de choses dans la mesure où je considère que c’est mon projet et que je veux et dois en être l’acteur principal.
Dans son fonctionnement, un tournoi de badminton est-il comparable à un tournoi de tennis?
Oui, il y a différentes catégories : Future, Series, Challenge, Grand Prix, Super Series, Superseries et Events. Là, comme nous sommes en année préolympique, les tableaux de qualification sont de 64. Pour en sortir, il faut donc passer trois tours.
Quels sont vos gains sur les tournois?
Les gains? En argent? Rien du tout. Ce n’est qu’à partir des demi-finales que tu gagnes quelque chose. En ça, ce n’est absolument pas comparable au tennis, le badminton n’est pas un sport très lucratif.
Vous souhaitez intégrer le cadre élite du COSL. Quelles sont les conditions?
Il n’y a jamais eu de joueurs de badminton dans un des cadres du COSL… D’après ce que je sais, il faut être dans le top 250 mondial. Je suis passé de la 1 700 e à la 530 e place. Et, si je regarde le niveau, je pense que c’est tout à fait possible. J’espère atteindre ce niveau d’ici avril 2016. Le dossier est fait et la fédération va l’envoyer cette semaine, car il doit parvenir au COSL avant vendredi. Maintenant, il faut que je trouve le financement.
Est-ce simple d’aller frapper à la porte de potentiels sponsors en tant que joueur de badminton?
Comme je n’ai pas encore commencé à démarcher, je ne sais pas trop. Après, j’ai un dossier sponsoring dans lequel j’explique ce que je pourrai leur apporter, mais aussi ce dont j’ai besoin. Ce qui m’importe, c’est aussi de montrer que ma démarche est sérieuse et qu’il ne s’agit pas que de blabla…
Avez-vous songé au crowdfunding?
Plusieurs personnes m’ont conseillé d’installer un compte PayPal sur mon site* pour permettre à ceux qui le souhaitent de m’aider. Mais j’hésite car, pour l’instant, je n’ai pas grand-chose à montrer.
Concrètement, quelle est votre ambition?
Horgiono a parlé des Jeux olympiques et, bien sûr, ça fait rêver. Pour Rio, c’est sans doute trop tard. Mais si je progresse au classement et que je me maintiens autour de la 100 e place, je pourrais prétendre à quelque chose en vue d’autres compétitions internationales, mais aussi en vue des JO-2020…
Au fait, pourquoi avoir choisi le badminton?
Parce que c’est un sport très complet. Ça allie endurance, explosivité, technique, stratégie… Plus jeune, j’ai aussi joué au squash.
Pas de sport collectif?
J’ai joué un peu au football, mais les sports collectifs, ce n’est pas mon truc. D’ailleurs, je joue rarement en double…
Charles Michel
Repères
Né le 20 juin 1985 à Luxembourg (30 ans)
Palmarès : champion national en 2014
Clubs : Wiebelskirchen (ALL/2014/2015), Bettembourg (2012-2014), BC Saive (BEL/2011/2012), Wiebelskirchen (ALL/2008-2011).
Membre du cadre national depuis 1997
Docteur en sciences du sport et de la santé
Luxembourg INSTITUTE of Health, not Luxembourg University of Health !