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Un football, oui, mais de parité ? (Interview)


La défenseure centrale de Mamer Sabrina Castello s’est lancée en début de semaine dans une croisade pour un football national qui donne plus sa place aux femmes. Interview uppercut.

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Sabrina Castello n’aurait pas renié cette banderole conçue par les supportrices d’Ell, en finale de la Coupe 2012, et qu’on croirait conçue tout spécialement pour son combat à elle. (Photo : Julien Garroy)

Lassée de se dire, en son for intérieur, qu’après tout, il est normal que les hommes aient de meilleures conditions d’exercice de leur sport préféré, la demoiselle est allée voir le Conseil national des femmes de Luxembourg pour entreprendre des démarches auprès de la FLF, voir des députés du pays. Persuadée notamment, et sûrement à raison, que les footeuses du pays n’ont pas la parité qu’elles méritent.

Licenciée depuis l’âge de 14 ans au FC Mamer, Sabrina Castello dirige aujourd’hui la meilleure défense de la Ligue 1 féminine, celle de Mamer, actuel 2e du championnat derrière Junglinster et qui n’a encaissé que neuf buts en autant de rencontres. Mais aller reconquérir un titre de championne qui échappe au club depuis 2009 n’est plus suffisant à ses yeux. Dans une lettre expédiée cette semaine aux médias, elle fait état de sa volonté de voir le football féminin conquérir enfin une légitimité au Grand-Duché et atteindre à une égalité de droits avec celui des hommes. En tout cas, tendre vers une égalité. « Voilà un combat qui s’annonce long et difficile », indique-t-elle dans ce courrier. Elle a commencé ici…

> Il y a eu un instant déclic dans votre démarche ?

Sabrina Castello : Oui. On en parle comme cela, toutes, dans le vestiaire, régulièrement. Et c’est une situation qu’on a toutes acceptée, cette inégalité entre foot féminin et foot masculin. Mais un jour, j’en discutais avec un gars qui n’y connaît rien. Déjà, cela m’avait agacée qu’il me dise « Ah bon, il y a du foot féminin au Luxembourg ? », mais quand je lui ai expliqué que nous ne touchions rien niveau argent, qu’il fallait même qu’on trouve nos sponsors nous-mêmes, quand j’ai vu sa réaction et qu’il m’a dit « ce n’est pas normal ! », là, je me suis dit que si même un mec était choqué de la situation, c’est qu’il fallait que cela change !

> Partons du début, pour ceux qui ne connaissent pas le mode de fonctionnement du football féminin. Vous dites « trouver nos sponsors nous-mêmes »…

… (Elle coupe) Cela veut dire nous-mêmes. L’inégalité a toujours été là : les hommes touchent des salaires, des primes. Pas nous. Et quand je parle des sponsors, je vais vous donner un exemple tout simple : quand on a des chaussettes trouées à Mamer, si on veut les changer, on doit trouver l’argent nous-mêmes. Alors on cherche qui pourrait accepter de nous donner de l’argent. Un oncle d’une joueuse qui a un magasin peut-être ?

> Dans tous les clubs ?

Je ne veux pas me prononcer, je ne connais pas la situation des autres. Mais nous, on a un président (NDLR : Guy Dauphin) qui vient voir tous nos matches, qui passe parfois aux entraînements, bref, qui est toujours présent, au moins moralement. Mais là, on a envie de lui dire qu’on a besoin de plus. En clair, on nous dit : « On a de l’argent pour les hommes, mais pas pour vous. » En 2009, nous avions édité un calendrier que nous avions vendu à 1 500 exemplaires, récoltant 11 000 euros, dans l’espoir de partir jouer la Coupe d’Europe si nous nous étions qualifiées. Sinon, comme les autres années, on n’y serait pas allé !

> On parle juste d’argent là ? Ou aussi de reconnaissance ?

Nous sommes conscientes que de par le niveau, de par l’intérêt des gens, nous ne parlons pas de la même chose que ce que font les hommes. Mais nous, on n’est pas là parce qu’on fait un régime et qu’il faut qu’on coure! Avec nos capacités, on fait tout comme les hommes. On s’entraîne plusieurs fois par semaine, on a des séances techniques, des séances physiques, des séances tactiques… Mais pour le moment, notre horizon se limite à être championne et s’arrête là. On a aussi envie de progresser, de partir à l’étranger ! Mais on nous répond qu’on n’a pas d’argent pour les dames ! Il y a pourtant des équipes prometteuses dans ce pays. Qu’on nous donne au moins un soutien financier pour faire comme les hommes !

> C’est dans ce sens que vous êtes allée démarcher le Conseil nationale des femmes de Luxembourg ?

En 2012, elles m’ont dit avoir eu un premier contact avec la FLF. Elles m’ont confié avoir été très bien reçues… Mais rien ne s’est passé. Le président avait, semble-t-il, indiqué que la fédération recevait des subsides pour les hommes mais presque rien pour les dames. Mais qu’il était motivé ! Bon… Moi, j’aimerais bien rencontrer les gens du comité pour la promotion du foot luxembourgeois, savoir ce qu’ils font et comment. Parce qu’il y a quarante clubs mais concrètement, rien n’a changé ces dix dernières années. Sûrement parce qu’on ne nous prend pas au sérieux. Mais nous-mêmes, d’ailleurs, on a du mal. On se dit que notre voix ne va pas peser. On a toutes accepté cette situation et on ne devrait pas !

> Vous dites « on ». Vous sentez un ras-le-bol chez les footballeuses du pays? Où en êtes-vous plutôt à souhaiter que votre démarche, justement, créera les conditions d’expression de ce ras-le-bol ?

J’aimerais que d’autres filles rejoignent le mouvement parce que moi seule, je n’ai pas légitimité à les représenter. Je sais qu’il y a un groupe de footballeuses d’une centaine de membres sur Facebook. Je vais les contacter. Plus on est, plus on pèsera.

> Vous vous êtes lancée seule dans cette croisade ?

Non, dans l’équipe, j’ai trouvé en Jeannine Hansen un vrai soutien. On s’est dit qu’on allait commencer à chercher des associations de femmes expertes dans le domaine de l’égalité homme-femme. Jeannine, elle, avait arrêté la sélection nationale il y a quelques années parce que rien ne changeait là-bas non plus.

> C’est-à-dire ?

Elles ne sont pas payées pour représenter leur pays, contrairement aux hommes. Et contrairement aux hommes, quand elles rentrent chez elles, on leur reprend tout leur équipement à l’exception du sac. Mais le pire, c’est qu’elles n’ont pas le droit aux congés sportifs. Pour quelle raison? Cela fait cinq ans qu’on le demande et qu’on ne nous répond pas. Il me semble toutefois que d’un point de vue légal, il y a un problème.

> Vous parlez d’un « combat long et difficile » dans votre communiqué aux médias. Long, difficile… Et un peu vain, malheureusement ?

J’espère surtout, concrètement, que les congés sportifs seront accordés aux filles de la sélection. C’est important il me semble. Mais, plus généralement, ce serait déjà bien de sensibiliser les gens au fait que nous aussi, les femmes, avons des ambitions sportives. On aimerait pouvoir progresser et donc aller affronter des équipes à l’étranger. Pour cela, il nous faut un soutien financier, mais aussi un soutien médiatique. Les hommes, eux, ils ont les deux !

Julien Mollereau