Olivier et Vincent ont traversé toute l’Ukraine ravagée par la guerre. Il y avait des trous dans la longue, très longue journée qui les a conduits de Poltava à Budapest. «Oli» les a comblés.
«On est en bonne santé et on a pu s’en sortir.» Olivier Thill est heureux. Avec son petit frère, Vincent, à côté de lui, il roulait enfin apaisé en direction de Budapest, samedi soir. Fini de traverser un pays en guerre flanqué de routes barrées et de contrôles policiers, fini de «s’orienter en regardant d’où viennent les fumées, qui venaient d’un peu partout», afin «d’éviter les villes attaquées». «En fait, on se repérait un peu aux bombes…», sourit-il.
Le meneur de jeu du Vorskla Poltava camoufle beaucoup de choses derrière un humour de façade et il le sait. Dans la voiture, son frère et ses trois coéquipiers s’appliquaient à parler de beaucoup de choses sauf de la guerre et de la situation hallucinante dans laquelle ils se retrouvaient. «On a fait de notre mieux pour rendre ça facile, comme si de rien n’était. Mais dans la tête… Je n’aurais pas aimé me retrouver tout seul. À la frontière, d’ailleurs, on a croisé un Indien qui ne savait plus quoi faire. Le pauvre, on l’a pris avec nous.» Un geste d’autant plus sympathique qu’à la frontière hongroise, les frères Thill ont eux-mêmes eu toutes les peines du monde à passer. Orientés, tout comme leurs camarades de périple vers ce point précis, ils ont découvert, éberlués, que la police hongroise refusait de les laisser passer… sans voiture.
Après 26 heures dans l’un des véhicules du club qu’il avait fallu abandonner un peu plus tôt afin qu’il soit rapatrié dans l’est du pays, interdit de passer à pied! «De vrais connards!, s’enflamme « Oli« . On a passé cinq heures à essayer de leur faire comprendre.» Heureusement pour les frères Thill, les Croates Ivan Pesic et David Puclin. Les deux joueurs ont appelé leur ministre de tutelle, qui a arrangé un transfert bancal mais qui a fonctionné : «On s’est retrouvés dans un bus avec des femmes et des enfants qui partaient pour l’Italie. Sans eux, on y serait encore puisqu’on n’avait plus de voiture! Et prendre deux Luxembourgeois, ça ne devait vraiment pas être leur priorité… Tout ça pour faire deux minutes de trajet et passer le poste…»
«Sans ces voitures, je ne sais pas où on serait»
Les deux frangins en ont, du monde à remercier. Le plan boiteux de leur club, qui avait décidé d’affréter un bus, a vite volé en éclats devant les pénuries d’essence. Alors quand l’un des managers du club a mis ses voitures à disposition, il a sauté sur l’occasion. «On a pris tout l’argent qu’on avait chez nous, nos passeports et des petites valises! Dehors, c’était la panique. Les banques, les pompes à essence, les supermarchés… tout était plein de gens et avec des rayons vides. Tu n’as pas peur mais tu commences à te faire du souci et à te dire « merde, c’est la réalité ». Et sans ces voitures, je ne sais pas où on serait, mais sûrement pas en Hongrie!»
C’est Olivier qui, dans la voiture, a conduit la plupart du temps. Souvent à 10-15 km/h maximum «tant les routes ukrainiennes sont mauvaises». Si bien que la voiture a crevé en pleine nuit et qu’il a fallu improviser : «Personne ne savait changer un pneu.» Un problème de bien peu de poids au regard de leur envie de fuir et de ce qui leur restait à l’esprit au moment de monter dans l’avion pour rentrer au pays. «À la frontière, on séparait les femmes et les enfants des hommes. On leur disait de prendre une arme et de repartir. J’ai appris qu’à Poltava, on commençait à faire le tour des domiciles, à frapper aux portes pour dire aux gens « venez vous battre avec nous ». On laisse des copains là-bas. J’espère qu’ils s’en sortiront.» On l’entend, au son de sa voix, le football est très, très, très loin. «Je ne sais pas si on rejouera au football un jour en Ukraine et c’est tellement dommage», lâche «Oli», fataliste.
Un trou dans la carrière qui «énerve» surtout Vincent, qui revenait justement aux affaires, se remettant lentement de sa pubalgie et s’apprêtait à se relancer dans une équipe à la lutte pour l’Europe dans un bon championnat. Il n’y a plus de championnat, mais il reste un pays. Qui se bat.
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