La 2e étape reliant mercredi Remich à Hesperange a été marquée par les revendications d’un peloton mécontent de l’insécurité qui règne sur ses routes.
«À l’époque des mines, les mineurs avaient un syndicat chargé de défendre leurs droits et notamment leur sécurité.» Derrière son masque qu’il ne cesse de descendre sur une moustache encombrante, Romain Gastauer n’était pas vraiment surpris du mouvement orchestré par le peloton mercredi, en début de 2e étape. Assis derrière une barrière longeant la ligne d’arrivée à Hesperange, il se remémore les confidences faites par Ben, son fils, la veille à l’issue d’une première étape mouvementée. «Il m’a parlé, mais je l’avais déjà vu à la télé, de la présence de voitures, de bus qui n’avaient rien à faire là…» Le coureur d’AG2R La Mondiale n’était pas le seul à se plaindre. Redoublant d’efforts après une double crevaison à moins de 15 km de l’arrivée, Kévin Geniets avait déjà dû se faufiler à travers bien des obstacles : «Entre des voitures garées sur la droite et les motos de la sécurité au milieu, je me suis retrouvé à gauche de la chaussée et j’ai évité de justesse une voiture garée en sens inverse…»
Dès mardi soir, coureurs et directeurs sportifs ont fait part de leur mécontentement auprès de l’organisation de l’épreuve. Certains ont alerté, par courriels, l’association des cyclistes professionnels (CPA), présidé par l’ancien champion du monde Gianni Bugno. Cela étant, les différents acteurs s’élançaient mercredi matin de Remich à l’heure prévue. Mais en moins de vingt kilomètres, deux incidents vont chambouler cette journée. Le premier, après seulement cinq bornes : un véhicule, appartenant selon nos informations, à l’organisation remonte à toute blinde le peloton et heurte Jasper Philipsen. Le Belge de la formation UAE, deuxième mercredi derrière Démare, confirmera lui-même en zone mixte avoir été «touché par une voiture». Plus de peur que de mal. «Je ne sais pas comment il a fait pour survivre», twittait après course Jacopo Guarnieri (Groupama-FDJ). Le second, quinze bornes plus tard, à un croisement insuffisamment sécurisé. «C’était une longue ligne droite, explique Kevin Geniets, la voiture venait de la gauche, elle s’est arrêtée au dernier moment. On est passé tout près d’un drame…» Déjà refroidi après une première journée jugée dangereuse, le peloton refusait de se donner d’autres sueurs froides et décidait, comme un seul homme, de mettre pied à terre. Cette décision ne surprend qu’à moitié le champion luxembourgeois: «Je suis encore jeune dans le métier et c’est la première fois que je vois ça. Un peloton qui s’arrête, c’est très rare. Il y a des points sur lesquels on peut passer, mais la sécurité, c’est essentiel!»
On aurait très bien pu décider de rentrer à l’hôtel
Si l’ensemble des engagés sont d’accord sur le fond, tout le monde n’approuve pas pour autant la forme. «Arrêter la course comme ça, c’est assez brutal, estime Ivan Centrone. C’est vrai que c’était assez dangereux. Moi, je suis habitué à ce genre de situation au Tour de Luxembourg, ce n’est pas toujours facile de fermer les routes. Après, je suis d’accord, il est important de sécuriser la route pour les coureurs.» Le Luxembourgeois de la formation Natura4Ever -Roubaix Lille Métropole, 29e et premier luxembourgeois au classement général, évoque un «cercle vicieux». «Des motos sécurité sont là pour prévenir de la présence de l’un ou l’autre obstacle (des voitures mal garées, etc.), mais, une fois que c’est fait, elles doivent remonter à chaque fois le peloton, fait-il remarquer. Ce va-et-vient génère une certaine tension et donc une nervosité dans le peloton. Ça ne s’arrête jamais.»
Une nervosité dont John Degenkolb, porte-parole du peloton, et consorts se passeraient bien. «On fait déjà un métier qui, en lui-même, comporte quelques risques. Dans le final d’une course, avec l’adrénaline, tu fais abstraction de certaines choses. Par exemple, je suis passé à côté de ce fameux bus (NDLR : garé sur une partie de la route lors de la 1re étape) sans même y faire attention. Mais c’est très dangereux…»
Mercredi, si cette 2e étape est allée à son terme, c’est à en croire Kevin Geniets en raison de la bonne volonté du peloton : «On aurait très bien pu décider de rentrer à l’hôtel, c’était d’ailleurs une éventualité. Mais, par respect pour le public présent sur l’aire d’arrivée, on a décidé de finir l’étape et d’assurer le spectacle dans le circuit final.»
L’expérimenté Philippe Gilbert rappelle, si besoin, que c’est «très dangereux de rouler avec des voitures venant en sens inverse». De son côté, Jasper Philipsen déclare : «Je ne veux pas risquer ma vie au Tour de Luxembourg. Si nous avions roulé à cent pour cent aujourd’hui, il y aurait eu des dégâts. C’est la raison de notre action.»
Charles Michel
Guarnieri se lâche sur Twitter
Jacob Guarnieri n’est visiblement pas du genre à mâcher ses mots. L’Italien de la formation Groupama-FDJ se dit «très satisfait de la réaction du peloton» d’interrompre cette 2e étape après plusieurs mésaventures en l’espace de vingt kilomètres dont notamment cette voiture de l’organisation venant frôler Jasper Philipsen. «Je ne sais pas comment il a réussi à survivre», s’étonnerait presque l’Italien à propos, visiblement, de la chance du Belge à échapper à cette voiture folle aux allures de grande faucheuse. Plus loin, Guarnieri rappelle que les organisateurs d’une course cycliste «ne font pas ça pour des œuvres caritatives parce qu’ils gagnent en contrepartie quelque chose (argent, visibilité, peu importe)». L’Italien, évidemment, se dit «très heureux d’en faire partie car nous avons besoin de courses, mais ils ne peuvent pas garantir des conditions sûres, alors à bientôt…»
Aussi, Jacob Guarnieri s’interroge sur la capacité du Skoda Tour à assurer la sécurité des coureurs : «Est-ce que ce sera différent demain? Je ne pense pas. Mais je serais très heureux d’entendre le point de vue de l’UCI et du CPA (cyclistes professionnels associés)».