En vingt ans de carrière, Mandy Minella a vu de tout sur le circuit WTA. Elle livre une réalité bien éloignée de l’image que l’on peut en avoir.
J’ai été prise par l’émotion, car je savais que ça pouvait être mon dernier point ici à Kockelscheuer…» Mercredi soir, alors menée 6-3, 5-3 (40-A) par Alizé Cornet, Mandy Minella n’a pu retenir ses larmes. Sur sa première balle de match, la Française mit un terme à une histoire, débutée voici 20 ans, durant laquelle la joueuse et le Luxembourg Open se sont fréquentés à 17 reprises. Tout ça pour la voir, mardi, franchir enfin le 1er tour du tableau principal aux dépens de Varvara Gracheva (6-3, 6-4). Sourire et incrédulité, son visage disait tout de cette si longue attente enfin récompensée. «Quand tu te prépares correctement, que tu t’entraînes bien, c’est normal d’être payée en retour», déclarait toutefois l’Eschoise dont la victoire contre la Russe, cotée à plus de 5/1 par les sites de paris sportifs, lui permit de ne pas rester en rade. De vaincre le signe indien, comme ont pu le faire à quatre reprises ses copines Anne Kremer et Claudine Schaul en, respectivement, douze et quatorze participations. Ce Luxembourg Open n’a jamais vraiment souri aux joueuses grand-ducales. «Pourtant, j’y ai fait de bons matches», martèle une Mandy Minella qui y fit, au 1er tour des qualifications en septembre 2001, ses premières armes sur le circuit WTA. «C’était contre Pisnik. Avant le match, je ne savais pas ce qui m’attendait. J’ai commencé à jouer service-volée ? En fait, je pensais devoir faire des choses extraordinaires…»
Des «choses extraordinaires», Mandy Minella en a réussi quelques-unes sur le court (victoire à Bol en 2016, 3e tour à l’US Open en 2010 et 2012) mais aussi en dehors. Et s’est parfois retrouvée dans des situations peu confortables. 2006, Kockelscheuer. L’Eschoise est accostée par Francesco Pisa. Cela ne s’invente pas, l’homme se dit napolitain, mais, surtout, être l’un de ses grands fans. «Prétextant l’envie de connaître le programme de mes tournois, il m’a demandé mon numéro de téléphone alors, comme il avait l’air d’être un gentil papy, je lui ai donné mon mail. Et c’est là que tout a commencé…» Le «gentil papy» inonde de messages la boîte de la joueuse. L’homme devient insistant et commence à la pister. «Sur tous mes tournois, il était là. Il essayait de m’approcher», confie la joueuse qui, après six mois de patience, un message dans lequel il lui demande de la rejoindre à Naples, finit par perdre patience. «Je lui ai répondu qu’en cas de nouveau message, je déposerais plainte auprès de la police. Depuis ce jour-là, plus de son plus d’image…»
Parfois, une joueuse disparaît pendant six mois. Officiellement, elle est blessée. En fait, elle n’en peut plus et préfère se retirer
D’autres images remplissent sa boîte à souvenirs. Comme lorsqu’en 2008, les frontières fermées par le Hezbollah, elle dut fuir le Liban manu militari. Comment ? Grâce à un Speed Boat en compagnie de neuf autres joueuses. «On l’avait réservé grâce à internet. C’était complètement fou! La traversée a duré cinq heures, j’ai été bien secouée. Et je dois bien le reconnaître, j’ai vomi…», confie celle qui, depuis notamment la naissance d’Emma, sa première fille, refuse de courir le moindre risque. «Il y a des endroits, des régions dans le monde où je ne vais plus», déclare celle à qui il est arrivé, au Mexique, d’avoir des «guides de luxe». «Pour aller au centre commercial, qui se trouvait à 600 m du site, on devait monter dans un pick-up avec, à l’arrière, des policiers armés et cagoulés. Bon, faut dire que quelques jours avant, il y a avait eu un règlement de comptes entre bandes rivales. Des têtes coupées avaient été déposées devant l’entrée…» De quoi refroidir quelque peu l’atmosphère. Ce genre de contexte n’est, évidemment, pas propice à la performance. «Non, mais on y est assez vite exposé. Je me souviens que lors d’un tournoi à Caracas, chez les juniors, on nous avait interdit de sortir car des gens se faisaient tuer en pleine rue…»
La vie de joueuse professionnelle demande une forte stabilité. «Psychologiquement, tout le monde ne tient pas le coup. Parfois, une joueuse disparaît des courts pendant six mois. Officiellement, pour blessure. En fait, elle n’en peut plus et préfère se retirer. Surtout si elle est en train de dégringoler au classement ou de sortir du top 100. Histoire de pouvoir bénéficier d’un classement protégé…» Mandy Minella déplore l’image de «vie facile» accolée aux professionnelles. «Sous prétexte de voyager, les gens imaginent que nous sommes en vacances. Mais s’ils savaient le nombre de nuits passées dans les aéroports parce que le vol a été annulé…» Ou bien encore ces journées passées à sillonner, tels des fantômes, les couloirs d’hôtel qui n’en ont que le nom.
Dans la vie, il y a des choses bien plus importantes que de jouer un rôle…
«On est loin de la vie incroyable véhiculée par les réseaux sociaux», assure la Luxembourgeoise dont la carrière aurait pu s’arrêter en 2016, quelques semaines seulement après son succès à Bol (Croatie), l’unique tournoi WTA 250 figurant à son palmarès. «J’avais la haine contre le tennis! À peine sur le court, j’avais des pensées négatives. En fait, j’étais au bout du rouleau! Avec Tim, on avait décidé de disputer Wimbledon et de tout arrêter après…» Pour venir à bout de ce «gros coup de mou», la joueuse et son entraîneur de mari en viennent à une décision : respirer. «Une fois par semaine, on s’accordait une journée pour visiter, aller marcher. Tim m’a offert un appareil photo.» Une manière de se focaliser sur autre chose. De rompre la monotonie et une vie aux allures de confinement. «Pour certaines joueuses, le quotidien se résume à manger, s’entraîner et regarder Netflix…»
Elles ont beau se croiser tout au long de l’année, d’être plus ou moins en vase clos, les joueuses éprouvent des difficultés à se lier d’amitié. Le circuit WTA serait-il un monde impitoyable ? Pour Minella, cela ne fait aucun doute : «Oui quand même! Le principe de notre jeu, c’est quand même, une fois que l’adversaire a un genou à terre, de ne pas lui permettre de se relever. Mais bien de lui marcher dessus.» L’Eschoise estime pertinente le parallèle fait entre le tennis et… la boxe. «Les coups que l’on peut se porter font tout aussi mal à la tête. Mais pas de la même manière.» Avant même de monter sur le ring, l’intimidation se met en place. «Dans les vestiaires, certaines ne te disent pas bonjour, d’autres te regardent de haut. C’est un milieu où tu ne peux pas afficher la moindre faiblesse. Pour cela, tu essaies de sauver les apparences, tu mets un masque de façade. Il m’est arrivé de l’utiliser, mais dans la vie, il y a des choses bien plus importantes que de jouer un rôle…»
Pour cela, certaines utilisent des stratagèmes. «Elles essaient par tous les moyens de te faire sortir de ton match. Ça peut être en poussant des cris, en prétextant une blessure et interrompant le jeu… Alizé (Cornet), par exemple, avec qui je m’entends bien en dehors du court, elle est parfois insupportable! Par exemple, Yulia Putintseva a cette habitude de frapper le sol avec sa raquette au moment où tu t’apprêtes à servir…» Reconnue pour son fair-play, Mandy Minella aurait-elle gagné à être un peu plus vicieuse ? «Je ne sais pas… Tricher, ce n’est pas dans ma nature et je préfère pouvoir me regarder dans le miroir.» Vingt ans plus tard, le reflet est toujours aussi flatteur.
Charles Michel